samedi 14 août 2010

L'Arbre

Auprès de mon arbre, je mourais heureux...

Titre original : The Tree
Ecrit & réalisé par : Julie Bertuccelli
Avec : Charlotte Gainsbourg, Morgana Davies, Marton Csokas
Durée : 100 min
D'après le roman de Judy Pascoe et le screenplay d'Elizabeth J. Mars.

Les O'Neil sont très heureux. Ils ont une belle maison, un bel arbre, de beaux enfants, ils s'aiment et gagnent bien leur vie. Un scandale, si vous voulez mon avis. D'ailleurs, Julie Bertuccelli est d'accord avec moi, puisque comme le dit Tim, l'aîné des quatre enfants, "rien de plus chiant que les familles heureuses". Un beau jour d'été donc, le drame survient : Peter, la trentaine vigoureuse, meurt d'une crise cardiaque, soudainement. Dawn (Charlotte Gainsbourg) se laisse aller à la dépression, et les enfants sont presque livrés à eux-même. Sauf Simone, qui est convaincu que son père s'est réincarné dans le gigantesque figuier de leur jardin.





Sous couvert d'intentions originales, Julie Bertuccelli ne prend guère de risques dans son histoire. Des récits de deuil et de veuvage, on en a vu beaucoup, et elle le sait. Pour nettoyer un peu ce thème poussiéreux, elle a fondamentalement choisi de mélanger deux genres : le drame familial, naturellement, qui occupe la plus grande partie du film, et le film "d'animaux", c'est-à-dire l'histoire d'un quelconque animal (souvent un chien), protégé bec et ongle par ses maîtres contre des voisins incompréhensifs. Ici la comparaison est certes grossière (puisqu'il n'y a pas de chien, mais un arbre), mais en l'essence, on retrouve beaucoup d'ingrédients des films de ce genre.

N'ayez pas peur, L'Arbre n'est pas un remake un peu loufoque de Beethoven, c'est avant tout un drame sensible et bien traité. Toutefois, c'est aussi très convenu. Le récit s'applique à respecter les figures imposées du film de deuil, auprès de la veuve (la partie la plus réussie, sobre et élégante) comme de l'orphelin (la petite Simone, qui pense dur comme fer que son défunt père est dans l'arbre ; ce personnage-là est nettement moins convaincant, plus grossier et souvent prévisible).

L'intérêt et l'intelligence de L'Arbre se situent dans le fait qu'il ne s'arrête pas à l'orée du fantastique : il en reste éloigné. Ainsi, Julie Bertuccelli choisit de substituer une psychologie assez fine à du merveilleux de mauvais aloi. Porté par de superbes images de la nature australienne, le film distille une atmosphère mélancolique et apaisante sous la masse ombrageuse du superbe figuier au centre de l'histoire. Conventionnel, mais sensible, L'Arbre est ce qui se fait de mieux en matière de déjà-vu.


Sentence : 3/5

jeudi 12 août 2010

The Killer Inside Me

C'est fourbe, un subconscient.

Réalisé par : Michael Winterbottom
Ecrit par : John Curran & Michael Winterbottom
Avec : Casey Affleck, Jessica Alba, Kate Hudson
Durée : 120 min
D'après le roman de Jim Thompson.

Lou Ford est policier dans la petite ville de Central City, mais c'est avant tout un gentleman. Ses plus bas instincts, il les contient tant qu'il peut, mais la tâche lui est pénible. Lorsqu'on lui demande de renvoyer une prostituée qui a séduit le fils de l'homme le plus riche de la ville, il ne se retient plus, se souvient de vieux comptes à régler, et déclenche un engrenage de violence et de mensonges.






Adapté d'un roman si noir qu'il en a assombri les Etats-Unis en son temps, The Killer Inside Me parle de pulsions malsaines, de folie et de mensonge. Michael Winterbottom, qu'on avait pas vu à la tête d'un casting aussi prestigieux depuis longtemps (jamais ?), s'en sort honorablement, mais ne se sert que des plus grosses ficelles du film noir. C'est dommage, le résultat est seulement gris foncé.

D'abord, le film ne serait rien, ou peu de chose, sans la performance habitée de Casey Affleck, le nouveau M. Ambigu du cinéma, un peu comme John Malkovich. Avec son sourire carnassier, sa voix aigrelette et son physique de grenouille, il nous met franchement mal à l'aise, en jouant toujours très juste, et confère ainsi à son personnage une crédibilité solide qui était loin d'être acquise.

Et oui, Lou Ford étonne, rend sceptique au début, mais ne tarde pas à fasciner. Son détachement, cet alliage surprenant entre glace et bouillonnement à peine contenu en fait l'indiscutable point fort du film. Chez lui, violence et amour ne font qu'un : plus il vous aime, plus il vous frappe. S'il vous aime peu, il vous frappera aussi, mais de quelques coups puissants et bien placés. Et quid de l'aboutissement d'une relation amoureuse ? La mort, évidemment. La logique interne de Lou est bien huilée, cohérente et invraisemblable à la fois, et c'est ce qui le rend si intéressant.

Malheureusement, tous les deniers ont été dépensés pour le protagoniste, et quelques maigres économies ont servi au scénario. N'allez pas croire qu'il est indigeste et bourré de clichés ; il est efficace, mais convenu. On a l'impression de suivre un film policier très classique, sauf que le héros n'est pas l'enquêteur, mais le meurtrier. Les scènes de violence, brillamment mises en scène, sont autant de sursauts qui rappellent que The Killer Inside Me aurait pu être un excellent film noir. Mais à force de s'appliquer sur les pulsions des personnages, Michael Winterbottom en oublie l'essentiel : l'atmosphère. C'est violent, certes, parfois trash, parfois passionnel, mais le réalisateur ne s'appuie que sur des faits, du concret qui s'essouffle (les scènes de sexe notamment, qui sont longues et n'apportent pas grand-chose), malgré une superbe photographie qui joue beaucoup de clairs-obscurs. On regrettera aussi que la bande originale ne puise que dans deux registres musicaux, ce qui crée quelquefois des contrastes voulus, mais malvenus.

Le bilan est donc plutôt mitigé, un peu décevant. On se souviendra d'un film noir qui passe à côté de son genre, faute d'inventivité et de génie, et de Casey Affleck et de son personnage qui, contrairement à Michael Winterbottom, a su livrer une performance loin des chemins balisés.


Sentence : 3/5

samedi 31 juillet 2010

Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?

C'est vrai ça, on se pose pas assez souvent la question.

Titre original : What Ever Happened to Baby Jane ?
Réalisé par : Robert Aldrich (1962)
Ecrit par : Lukas Heller
Avec : Bette Davis, Joan Crawford, Victor Buono
Durée : 123 min
D'après le roman de Henry Farrel.

En 1917, la petite Blanche Hudson vit dans l'ombre de sa soeur Jane, enfant star capricieuse et pourrie gâtée. En 1935, les rôles sont inversés : Blanche est une actrice acclamée tandis que Jane est une alcoolique sans talent. Des années plus tard, elles cohabitent dans la même maison : Jane s'occupe de sa soeur devenue paraplégique après un accident, mais leurs relations sont pour le moins houleuses.






Robert Aldrich a fait son petit effet à l'époque en présentant Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?. Certes, le film a été immédiatement acclamé par la critique, mais c'est surtout la rencontre entre les deux monstres sacrés et éternelles rivales Bette Davis et Joan Crawford qui a propulsé le film au panthéon. Car pour le reste, il y a pas mal de choses à redire.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser (enfin, moi, je l'ai pensé en tout cas), il ne s'agit nullement d'une histoire d'enlèvement ou de disparition ; la fameuse Baby Jane est l'un des deux personnages principaux, avec sa soeur Blanche. La vieille et acariâtre Jane, qui n'a pas supporté de ne plus être le centre de l'attention publique, est rongée par la jalousie envers sa soeur, belle, populaire et talentueuse. Très malsaine au départ, la relation d'interdépendance entre les deux personnages empire, jusqu'à franchir les frontières de la folie destructrice. Une histoire plutôt classique donc, et qui n'est pas traitée de la plus fine des manières. Les deux protagonistes sont en effet caricaturaux : on a Blanche d'un côté, belle, douce, agréable, généreuse, magnanime, sympathique, talentueuse, on n'en finit pas d'énumérer ses qualités. Et puis à son service, Jane, laide, méchante, alcoolique, cruelle, folle, dangereuse, jalouse, égoïste, on n'en finit pas d'énumérer ses défauts. Seul un twist bon marché, qui peine à ébranler les fondations de l'histoire, tente d'apporter un peu de complexité et d'humanité à la fin du film. Mais il arrive un peu comme un cheveu sur la soupe...

Le scénario n'est pourtant pas exempt de qualités : la montée du suspense est maîtrisée et le crescendo de folie est bien rendu. Certes, par moment, les situations évoluent de manière prévisible, mais l'un dans l'autre, on ne s'ennuie guère pendant 2H13, ce qui, en soi, relève d'une belle performance. Film noir en huis clos à l'atmosphère délétère, Mais qu'est-il arrivé à Baby Jane ? met souvent mal à l'aise, et bien que ses personnages soient excessivement simples à comprendre, ils ne manquent pas d'intérêt (surtout Jane. Malgré la tentative finale peu convaincante de lui donner un peu de relief, Blanche se fait voler la vedette par sa soeur). L'évolution morbide de cette laissée pour compte de la célébrité est plaisante (enfin, façon de parler...) à regarder et plutôt cohérente.

Rendons donc justice à Aldrich : Mais qu'est-il arrivé à Baby Jane ? surprend souvent par ses qualités de film précurseur, tant dans les moyens narratifs employés que dans le déroulement de l'histoire. Certes, la mise en scène et le jeu des actrices a un peu vieilli, mais à la manière des beaux vieux, comme un bon vin. On regrettera seulement une écriture un brin paresseuse et un scénario peut-être pas cousu de fils blancs, mais disons... gris clair.


Sentence : 3/5


jeudi 29 juillet 2010

Brick

Jeux dangereux.

Ecrit & réalisé par : Rian Johnson (2004)
Avec : Joseph Gordon-Levitt, Lukas Haas, Nora Zehetner
Durée : 105 min

Tandis qu'il cherche les raisons de la disparition de son ex-petite amie, Brendan Frye, adolescent misanthrope et génial, se trouve confronté au pape de la drogue local : le Pin.





Sous ses airs de thriller acnéique inoffensif, Brick n'attire guère l'attention au premier abord. Des jeunes. De la drogue. De l'amûr. Une disparition. Oui, mais contrairement à ce que l'affiche pourrait laisser penser, Rian Johnson n'est pas un ersatz boutonneux de Guy Ritchie, il est bien plus que cela. Brick, c'est une intrigue prenante, mais c'est aussi une formidable étude de caractères.

Car pour pleinement l'apprécier, il ne faut le prendre qu'à moitié au sérieux. La pellicule est jalonnée de détails amusants qui vous invitent à garder les pieds sur terre, et en même temps, montrent du doigt des comportement potentiellement dangereux. L'intelligence de sa formule réside dans un double-mouvement : les personnages font face à des problèmes réels et graves (la disparition d'une jeune fille, le trafic de drogue...), mais, d'un autre côté, sont parfois affublés d'attributs bouffons (le magnat de la drogue est une caricature de méchant qui semble sortie d'un mauvais James Bond) ou apparaissent dans des scènes qui frôlent le burlesque (difficile de prendre au sérieux ces jeunes au visage grave qui discutent de leurs affaires hautement illégales autour d'un verre de jus d'orange).

Mais c'est là tout le charme pétillant de Brick. Il s'agit presque d'une mise en abyme des personnages, tant ils semblent se complaire dans un rôle pré-écrit. On pourrait traduire ce besoin compulsif de revêtir une autre identité, plus palpitante que l'originale, comme un malaise existentiel (Dieu, que cette phrase est pompeuse) : et oui, les jeunes s'ennuient, ils s'inventent des personnages et une histoire à vivre. Le danger - et c'est là que le fond de Brick prend toute sa valeur - est de trop s'engager dans la fiction et, ce faisant, de délaisser des problèmes bien plus proches, et des solutions plus pragmatiques (par exemple, Brendan qui souhaite privilégier son "enquête" - et du coup, son égo - plutôt que de faire appel à la police pour retrouver son ex - solution envisagée, puis écartée à la va-vite). Et à force de s'enfermer dans un rôle trop longtemps, on en oublie les précautions les plus élémentaires, et parfois, les scénarii dérapent, jusqu'au meurtre.

Sur la forme, Brick confine à l'exercice de style : avec sa mise en scène posée et perpétuellement ambiguë dans sa gestion de la lumière, Rian Johnson croit en la sobriété de la narration, pour un résultat des plus convaincants et une atmosphère malléable, suffocante par moments, aérienne par d'autres. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas un film sur des ados qui ont grandi trop vite : Brick parle d'immaturité, avec brio.


Sentence : 4/5

lundi 26 juillet 2010

Confessions d'un homme dangereux

Si vous croyez à son histoire, tapez 1.

Titre original : Confessions of a Dangerous Mind
Réalisé par : George Clooney (2002)
Ecrit par : Charlie Kaufmann
Avec : Sam Rockwell, George Clooney, Drew Barrymore
Durée : 113 min
Adapté du livre du même nom de Chuck Barris.

Le biopic de Chuck Barris, producteur télé des années 60-80, et prétendu tueur à gages au service de la CIA.






"Lorsque vous lisez une autobiographie, gardez en tête que la vérité n'est pas faite pour être publiée." Ce qu'il est cynique alors, ce George Bernard Shaw. Mais difficile de ne pas penser à cette citation lorsqu'on visionne Confessions d'un homme dangereux, tant le sujet du film s'en imprègne. Et oui, histoire rocambolesque s'il en est, George Clooney, pour sa première réalisation, brosse le portrait de Chuck Barris d'après son autobiographie. Outre l'intérêt que peut susciter la vie d'un tel personnage (médiocre par bien des côtés, génial par d'autres), inventeur notamment de Tournée-manège et autres programmes télé indigents mais si populairement appréciés, le vieux Chuck avoue aussi avoir servi la CIA en tant qu'exécuteur pendant de nombreuses années. Naturellement, il n'en avait parlé à personne, la CIA nie tout en bloc, mais le fait est que, parfois, il s'absentait une semaine, sans raison ni destination connues. Bref, c'est abracadabrant, mais son récit tient suffisamment debout pour semer le doute.

Cette immersion dans la télévision américaine, tour-à-tour dramatique et burlesque, ravit par son scénario et sa mise en scène inspirée (dans tous les sens du terme). Coup d'essai pour Clooney ? On a du mal à y croire. Le rythme binaire du film en fait toute la force et l'ambiguïté : il y a Chuck Barris et ses programmes, ses amours maladroites, looser compulsif imbu de sa propre loose, et Chuck Barris agent secret, séducteur, froid, efficace, en un mot, charismatique. La mise en image inédite, qui traduit la superficialité du monde de Barris, est encore plus travaillée pendant les phases "CIA-badass". Stylisées à l'extrême, ces scènes ne portent pas crédit aux affirmations du vrai Chuck Barris dans son livre, mais nous présentent ces épisodes comme autant d'anecdotes romanesques dans une vie qui manque de piment à ses yeux.

Pari gagné : la plus grande qualité du film est son interprète, et la plus grande qualité du scénario est son protagoniste, personnage fascinant, drôle et inquiétant malgré lui. Le plus grand charme de Confessions d'un homme dangereux est de réussir à vous prendre en otage, de vous laisser rire à l'ombre d'une épée de Damoclès, le genre de rire nerveux perpétuellement obscurci par une hypothèse effarante : et si c'était vrai ?


Sentence : 4,5/5


samedi 24 juillet 2010

Le premier qui l'a dit

Dans la famille, on aime les nouilles.

Titre original : Mine Vaganti
Réalisé par : Ferzan Ozpetek
Ecrit par : Ferzan Ozpetek & Ivan Cotroneo
Avec : Ricardo Scamarcio, Nicole Grimaudo, Alessandro Preziosi
Durée : 110 min

C'est décidé, le soir de la grande réunion de famille, pendant le dîner, Tommaso lâche le morceau : il n'a pas fait d'études d'économie, il veut être écrivain, et surtout, il est gay. Tant mieux s'il est chassé de la famille : au moins il sera libre de vivre sa vie à Rome, avec son compagnon Marco. Enfin, c'était sans compter son grand frère Antonio, qui a décidé de faire son coming out le premier.






Il y avait deux façons de traiter un tel sujet : le drame familial, pesant et implacable, et la comédie, légère et inoffensive. Un coup d'oeil sur l'affiche et vous saurez quel parti a pris Ferzan Ozpetek, pas forcément pour le pire, ni pour le meilleur. Mais dans les deux cas, il aurait pu faire mieux, c'est certain.

Ici, impossible de parler de comédie dramatique : l'atmosphère invariablement légère du film nous l'interdit. En cause ? La famille du protagoniste, caricature claironnante de la riche famille italienne. On doute que ce soit volontaire, jusqu'à ce qu'on apprenne que les Lecce ont fait fortune en vendant des pâtes. Là, c'est dit, le cliché est consommé. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un choix d'écriture judicieux : certes, de cette manière, on obtient un énorme réservoir à sourires et à rires, mais d'un autre côté, la portée du propos en est considérablement amoindrie. Faute de s'ancrer dans un contexte social réaliste, le message de Le premier qui l'a dit passe à côté de sa cible.

C'est une chose, mais ce n'est pas la plus importante puisque l'important ici est de faire rire. Seulement, là encore, la caricature devient un poids mort. Et oui, à force de se servir dans le même seau, on n'a pas envie de chercher des vannes ailleurs. Concrètement, le film s'appuie trop sur son sujet, et ne fait guère preuve d'imagination en matière d'humour. Ce n'est pas toujours très fin, voire lourdaud ; un comble pour un sujet aussi sensible et avec un tel potentiel comique. Pour le reste aussi, malheureusement, Ozpetek a cruellement manqué d'audace. Outre la réalisation très fade, les personnages cèdent à quelques facilités d'écriture (la grand-mère notamment). La seule preuve d'intelligence d'Ozpetek fut de bien choisir son sujet. Une histoire plus classique entre ses mains n'eut présenté aucun intérêt. Finalement, il ne manque qu'une chose au Premier qui l'a dit : un assaisonnement.


Sentence : 2,5/5

vendredi 23 juillet 2010

Inception

Martin L. King : "I had a dream."
Dom Cobb : "Mmm."

Ecrit & réalisé par : Christopher Nolan
Avec : Leonardo Dicaprio, Joseph Gordon Lewitt, Ellen Page
Durée : 148 min

Le braquage de banque ? C'est démodé. La nouvelle activité illégale en vogue s'appelle "l'extraction", et Dom Cobb est LE spécialiste en la matière. Ici, on ne vole rien de matériel, mais des idées, des secrets profondément enfouis dans l'esprit des victimes. Pourchassé par la multinationale qui l'a employé, veuf et loin de sa famille, il n'a plus rien à perdre. Un puissant homme d'affaires lui propose de l'aider à rejoindre ses enfants s'il accepte d'implanter une idée dans l'esprit d'un de ses concurrents.






Ils sont rares, les orfèvres du blockbuster, ceux qui changent l'argent en or (!). On pense à J.J. Abrams et à son excellent Star Trek, à James Cameron peut-être, quand il n'oublie pas de se procurer un scénariste. L'année dernière, Christopher Nolan nous avait fait rire, haleter, suer, jubiler avec son Dark Knight. Aujourd'hui, on parle beaucoup d'Inception, en bien le plus souvent. Et tout ce qu'on dit est vrai.

D'abord, c'est un grand jour pour la fiction cinématographique : depuis combien de temps n'a-t-on pas eu l'occasion d'apprécier un scénario aussi travaillé, aussi maîtrisé, aussi intelligent et original, et qui ne soit pas tiré d'un comic-book, d'une nouvelle ou d'un roman ? Nolan peut brandir bien haut sa pépite sur le fier piédestal du 7e art. Inception, ce n'est pas qu'une idée brillante, c'est un univers entier, cohérent et génial. Tous les mécanismes du film tournent autour de ce concept de voyage dans les rêves : outre l'intrigue principale, la dimension humaine (rudimentaire, soyons honnêtes) puise également dans l'idée initiale. Nolan se sert d'un vieux truc toujours efficace : prendre une situation très réelle, ou du moins susceptible d'arriver, et l'intégrer dans son propre univers fantastique. En l'occurrence, Dom Cobb (le seul personnage avec un semblant de profondeur) ne parvient pas à se remettre de la mort de sa femme et s'accroche désespérément à ses souvenirs. Il s'enferme alors chaque soir dans un sommeil artificiel et se réfugie dans ses rêves - largement composés de souvenirs- au risque de ne plus vouloir revenir à la réalité.

Toutefois, les états d'âme de Dom Cobb (d'ailleurs sujets à plusieurs interprétations possibles) ne sont que filigranes sur une intrigue qui occupe la majeure partie du film. Le scénario est une perle d'intelligence brillamment mise en valeur par d'excellents acteurs. On halète, on se ronge les ongles, on n'en perd pas une miette, du début à la fin. Pendant 2H28, le rythme ne faiblit pas - un vrai éthiopien, ce Nolan.

A la fois complexe et palpitant, Inception ne déçoit pas, bien au contraire. Les images époustouflantes et le style vertigineux de Nolan confèrent à son oeuvre une aura unique, que l'on reconnaît, que l'on ressent immédiatement : celle des films devenus cultes deux jours après leur sortie.


Sentence : 5/5

mardi 20 juillet 2010

30 jours de nuit

30 jours plus tard.

Titre original : 30 Days of Night
Réalisé par : David Slade (2008)
Ecrit par : Steve Niles, Stuart Beattie, Brian Nelson
Avec : Josh Hartnett, Melissa George, Danny Huston
Durée : 105 min
D'après le comic-book de Steve Miles & Ben Templesmith

Chaque année, dans un petit village d'Alaska, le soleil disparaît pendant trente jours. Bien que les habitants y soient habitués, cette fois-ci, d'étranges créatures les attaquent et les mettent en morceaux. Il va falloir survivre trente longues nuits.






On entend pas mal parler de David Slade ces derniers temps, pour un certain film de vampires à succès. Non, il ne s'agit pas de 30 jours de nuit, mais de Twilight 3. Qui eut cru que le réalisateur de cette série B portée sur le gore se retrouverait à la tête des aventures baveuses d'Edward et Bella ? Qui eut cru que le viking délaisserait sa bonne vieille hache pour un gobelet de sirop de grenadine ? Ne nous attardons pas sur les motivations forcément obscures de David Slade puisque, vous l'aurez remarqué, Twilight, dans cet article, on s'en fout (hors de cet article aussi d'ailleurs).

Mais tout de même, les deux films ont en commun de traiter des mêmes créatures fantastiques, c'est-à-dire nos vieux copains les vampires. La comparaison s'arrête là : les deux films n'ont rien à voir entre eux, si ce n'est leur piètre qualité (bon, n'exagérons pas, 30 jours de nuit s'en sort beaucoup mieux que son cadet). A noter que, comme vous l'avez peut-être remarqué vous aussi, le mythe du vampire dévie progressivement de sa conception noble et classique, dans un souci toujours plus impératif d'innovation. Et oui, ils sont loin les Lestat et autres Dracula, désormais, à chaque nouveau film sur le sujet, nos amis à grandes dents sont affublés d'une nouvelle caractéristique (sensibles à l'argent, mode Life in technicolor sous le soleil, que sais-je encore). En l'occurrence, les vampires de 30 jours de nuit ont ceci de particulier qu'ils ont un comportement de prédateur irréfléchi (en gros, ils veulent bouffer, point barre) et, en conséquence, se déplacent en meute.

Le problème, c'est qu'à force de vouloir innover, les vampires n'ont plus grand chose de vampirique. Exit le charme vénéneux des créatures de la nuit et tout ce que cela sous-entendait, il y a quelque chose de tragique dans ces mutations à répétition : les vampires de 30 jours de nuit rappellent furieusement les zombies de 28 jours plus tard. Du reste, la conception du film est assez classique : lente montée de l'angoisse, élimination progressive des différents personnages... Le scénario a quelque chose de téléphoné, les personnages de réchauffé. On retiendra de beaux plans en extérieur et une histoire qui évite les pièges les plus grossiers du survival-horror (tels que des personnages déraisonnablement stupides). Une série B relativement distrayante, ce qui est tout ce qu'on lui demande.


Sentence : 2,5/5

dimanche 18 juillet 2010

Tamara Drewe

"Les romanciers sont des menteurs et des voleurs."

Réalisé par : Stephen Frears
Ecrit par : Moira Buffini
Avec : Gemma Aterton, Roger Allam, Dominic Cooper
Durée : 109 min
D'après le comic book du même nom de Posy Simmonds

La vingtaine pimpante et le nez refait, Tamara Drewe retourne à grandes enjambées dénudées dans le village de son enfance, au fin fond de la campagne anglaise. La question est : pourquoi est-elle revenue ? Pour retrouver un amour d'adolescence ? Si oui, lequel ? En tout cas, son retour, fait l'effet d'une bombe dans la paisible résidence d'écrivains, non loin de sa propre maison.






"Une comédie de Stephen Frears". Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de voir ce genre d'inscription sur une affiche, lui dont la filmographie est composée à 90% de téléfilms et films dramatiques. Tamara Drewe est donc une sorte de pause bucolique et légère, qui n'en est pas moins dirigée avec l'excellence qui le caractérise

En dépit de l'absence évidente de prétention de Tamara Drewe, Stephen Frears ne laisse rien au hasard : la direction photo est d'une grande qualité, accompagnée d'une excellente bande originale (signée par la star montante Alexandre Desplat, brillant compositeur de Ghost Writer. De Twilight aussi, mais n'en parlons pas). Or donc, le film nous propose de suivre les amours frivoles de Tamara et d'autres personnages, avec grâce et piquant. Ne vous attendez pas à de la guimauve, ceci est un bonbon acidulé. Un délicieux bonbon, que l'on savoure à chaque instant. Au programme, des ficelles classiques, mais toujours efficaces : mensonges, quiproquos, comique de situation, humour grotesque et cynisme. Effectivement, on est guère surpris par le scénario, qui nous emmène tranquillement là où on l'on veut qu'il nous emmène, pas forcément pour le meilleur, mais passons. Un peu comme pour Petits meurtres à l'Anglaise (dans une moindre mesure tout de même), l'atmosphère résolument légère du film ne prends jamais de plomb dans l'aile.

Tamara Drewe ne surprend pas, mais c'est une comédie d'une grande efficacité, d'une grande maîtrise et d'une grande intelligence. L'humour raffiné, parfois maniéré de Stephen Frears et Moira Buffini a quelque chose de profondément jubilatoire. Sans compter les acteurs, tous au diapason (Dominic Cooper en tête), bref, une comédie irréprochable, pimentée et superficielle comme il faut. On attend la prochaine pause de Stephen Frears avec impatience.

Sentence : 3,5/5

jeudi 15 juillet 2010

Toy Story 3

Rien à faire, plus c'est grand, plus c'est con.

Réalisé par : Lee Unkrich
Ecrit par : John Lasseter, Andrew Stanton, Lee Unkrich
Avec : Tom Hanks, Tim Allen, Michael Keaton
Durée : 100 min

Andy a 17 ans, et il va rentrer à l'université. Sale période pour Woody, Buzz et compagnie, qui moisissent au fond d'un coffre et se préparent à aller au grenier. Par accident, c'est à la garderie Sunnyside qu'ils atterrissent, où ils se rendent compte que le grenier n'était peut-être pas une destination si terrible en fin de compte.






Toy Story 3 n'est pas seulement une aventure supplémentaire pour Woody et Buzz, comme le fut son prédécesseur. Des thèmes plus graves sont abordés dans cet opus, tels que le temps qui passe et qui fait s'effilocher des amitiés autrefois solides, la nécessité de changer de vie, d'avancer après un bouleversement. Après avoir lu ces quelques lignes, vous allez vous dire "Hein ? Pixar donne dans le drame maintenant ?". Non, rassurez-vous, la franchise Toy Story n'a rien perdu de son efficacité à faire stimuler les zygomatiques. Non seulement ils sont toujours aussi drôles, mais en plus ils se payent le luxe d'ajouter une vraie profondeur à leur histoire, comme ils en ont l'habitude depuis quelques années déjà.

Il faut dire qu'on les attendait au tournant. N'oublions pas que Toy Story est le premier Pixar, celui qui les a immédiatement propulsés au rang des nouveaux papes du divertissement pour enfants (et adultes), le seul aussi qui ait bénéficié de suites. Eh bien... Que dire ? L'excellent court-métrage Day & Night donne le ton : les gars de chez Pixar n'ont rien perdu de leur inventivité, au contraire, ils en ont à revendre. L'animation est irréprochable (il faut voir Buzz danser la salsa... Tout simplement bluffant), le scénario est intelligent, fin, surprenant et bourré de bonnes idées. Soyons clairs : Toy Story 3 est à l'imagination ce que La cité de la peur est au gag. Très rarement, on s'aperçoit avec un léger dépit que certains gags ont été repris des précédents épisodes, mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il s'agit plus de clins d'oeil que de coups de flemme. C'est tendre, malin et drôle. What else ?

Maintenir un tel niveau sans avoir planifié de trilogie était une gageure, mais Pixar semble au-dessus des règles et des statistiques, au-dessus de la tyrannie de l'argent. Shrek 4 peut aller s'enfouir dans son marais. Chaque année, Pixar se rapproche un peu plus de l'âge d'or de Disney et paraît l'avoir atteint aujourd'hui. Plus mature que Toy Story 1, plus intelligent et sensible que Toy Story 2, Toy Story 3 est peut-être bien le meilleur épisode de la série. Andy a grandi, Pixar aussi, cela ne fait aucun doute.


Sentence : 4/5

lundi 12 juillet 2010

Tournée

"Elles sont belles, mes danseuses, elles sont belles !"

Réalisé par : Mathieu Amalric
Ecrit par : Mathieu Amalric, Philippe Di Folco, Marcelo Novais Teles, Raphaëlle Valbrune
Avec : Mathieu Amalric, Miranda Colclasure, Suzanne Ramsey
Durée : 111 min

Joachim Zand, producteur déchu et manager d'une petite troupe de danseuses New Burlesque américaines, fait une tournée à travers la France et espère, quelque part, corriger ses erreurs passées.






Le voilà enfin, le film qui a fait sensation au festival de Cannes et qui a remporté le prix de la mise en scène (Cocorico.). On le sait, Amalric se voyait davantage comme un metteur en scène reconnu que comme un acteur lorsqu'il s'est lancé dans le métier. Il se trouve qu'on le connaît aujourd'hui pour son jeu, mais il n'en est pas pour autant à ses débuts en tant que réalisateur. Tournée est son quatrième long-métrage, le premier dans lequel il se met lui-même en scène. Une question s'impose quant à la nature du projet : documentaire, ou fiction ?

Les deux, mon capitaine. D'abord, parce que la mise en scène emprunte beaucoup au docu-fiction, avec ses caméras à l'épaule, ses plans fixes et ses scènes en coulisse pendant le spectacle. Ensuite parce que le film a été réalisé dans les conditions d'une vraie tournée, c'est-à-dire que les filles se produisaient gratuitement devant un public qui n'était pas payé pour figuration, et l'équipe dormait dans les hôtels des villes où elle s'arrêtait, entre le Havre et Rochefort. Quid de la partie fiction donc ? Joachim Zand, bien sûr, seul personnage inventé, avec quelques seconds rôles.

Le show New Burlesque en lui-même n'est qu'une toile de fond, un fil rouge en filigrane de l'histoire de cet ex-producteur télé qui transforme tout ce qu'il touche en compote - ses projets, ses amours, ses enfants. Ce n'est pas le premier anti-héros qu'on voit à l'écran, mais à ce point-là, c'est très rare. C'est simple : rien chez lui n'attire la sympathie du spectateur, et pourtant, de façon inexplicable, on est touché par ce rebut humain qui patauge éternellement dans sa loose.

Tournée, on nous l'a suffisamment rabâché, parle aussi des canons de beauté actuels, et en fait des confettis. Bien en chair et plus très fraîches pour la plupart, les danseuses n'en exhibent pas moins fièrement leurs corps, dans une débauche de froufrous et de vulgarité assumée. On l'a compris : Tournée est une ode à la femme décomplexée et au caractère bien trempé. Noble intention, mais qui n'a jamais suffi à faire un film.

A force de concentrer son écriture sur le fond, sur la subtilité et les symboles (notez que si plus de scénaristes le faisaient, le cinéma s'en porterait mieux), on en oublie le plus évident, à savoir, le rythme. Car là, on s'ennuie. Sec. L'histoire, pourtant écrite à quatre mains, est informe et indigente, et on n'en voit pas la fin, littéralement. Toutes les parties en coulisse et sur le show en lui-même sont certes indispensables, mais guère intéressantes (remarquez, ce dernier point ne dépend que de vous : si vous êtes fan de spectacles de ce genre, c'est peut-être ce que vous préfèrerez dans le film). On reste dans la salle pour savoir ce qu'il va advenir de Joachim, dont l'histoire est plutôt bien traitée et offre quelques moments mémorables (cf. la fameuse scène de la station-service, pétillante de cynisme et de mélancolie noire). Il est d'autant plus rageant de subir cet ennui accablant que les qualités de Tournée sont indéniables, son atmosphère, unique. Mais les faits sont là : on bâille.


Sentence : 2,5/5

samedi 10 juillet 2010

Petits meurtres à l'Anglaise

"Je dis. Ce ne sont pas des gentilhommes."

Titre original : Wild Target
Réalisé par : Jonathan Lynn
Ecrit par : Lucinda Coxon, Pierre Salvadori
Avec : Bill Nighy, Emily Blunt, Rupert Grint
Durée : 98 min
D'après Cible émouvante de Pierre Salvadori (1993)

Victor Maynard, 54 ans, est tueur à gages. Mais pas n'importe quel tueur ; il est le meilleur dans sa profession, comme son père et son grand-père avant lui. Un nom, une photo, et la cible est morte dans la journée. Enfin, c'était vrai jusqu'à ce qu'on lui demande d'abattre Rose, une jeune cleptomane et arnaqueuse pour qui il se prend d'affection.






Cela faisait sept ans qu'on avait pas entendu parler de Jonathan Lynn ni de ses comédies dont l'impertinente légèreté est devenu une marque de fabrique. C'est d'une manière un peu fortuite qu'il revient sur le devant de la scène (enfin, façon de parler), puisque Petits meurtres à l'Anglaise est le fruit d'une conversation probablement anodine entre le producteur Martin Pope et son ami Philippe Martin, ancien producteur de Cible émouvante qui, entre deux verres, lui a parlé de cette histoire sans queue ni tête. "Hey, why not ?" s'est alors dit Martin Pope, qui s'est empressé d'envoyer une cassette du film original à Lucinda Coxon, qui a dû se débrouiller avec cela pour écrire une histoire cohérente, histoire qui a fini, d'une manière ou d'une autre, dans les mains de Jonathan Lynn. Et ce mélange improbable de coups de poker et de bouts de ficelle s'appelle Petits meurtres à l'Anglaise, et pour une comédie sans prétention, il est bigrement réussi.

La clé de sa réussite se trouve dans le titre. Comment faire un bon remake anglais d'un bon film français ? En l'assaisonnant à l'Anglaise. C'était plutôt simple, quand on y pense. Seulement, il fallait trouver la bonne personne pour orchestrer tout cela. Incontestablement, Lynn est la bonne personne. Du protagoniste aux décors, en passant par les accessoires et les figurants, TOUT porte la couleur de l'humour anglais, de la première seconde à la dernière. Jonathan Lynn élève une atmosphère aérienne qu'il laisse en suspens et ne fait jamais redescendre, pas même - surtout pas - aux moments de tendresse ou de suspense. Le climat éternellement bouffon et invraisemblable de Petits meurtres à l'Anglaise est son plus grand charme, avec Bill Nighy, toujours aussi à l'aise dans les rôles de dandy anglais maniéré.

Que dire du reste ? Le scénario est classique, mais efficace, les dialogues sont fins, et les personnages savoureux. L'humour fait systématiquement mouche, bref, Petits meurtres à l'Anglaise est une très bonne surprise dont la seule prétention est de nous faire rire, avec panache.


Sentence : 3,5/5

jeudi 8 juillet 2010

Moon

Il y a la carotte, il y a le bâton... Mais où est l'âne ?

Réalisé par : Duncan Jones
Ecrit par : Duncan Jones & Nathan Parker
Avec : Sam Rockwell & Kevin Spacey
Durée : 97 min

Dans trois semaines, Sam Bell, astronaute au service d'une puissante industrie qui tire partie de l'énergie solaire sur la lune, aura fini son service et pourra retourner sur Terre, où son épouse et sa fille l'attendent. Cela fera bientôt trois ans qu'il est seul sur la lune, avec pour seul compagnon l'intelligence artificielle de la station, Gerty. Mais ces trois petites semaines qui le séparent de la liberté sont bouleversées par des accidents et des découvertes qui mettent en péril ses plans de retour.







Choisir de baser son premier long-métrage sur un concept s'est souvent révélé être un choix intelligent. D'abord, pour des raisons financières évidentes (peu d'acteurs, peu de décors, peu de contraintes), ensuite parce que c'est un moyen toujours efficace de capter l'attention du public, pour peu que le concept en question tienne debout.

En guise d'une idée originale et innovante, Moon fait plutôt un pari, osé et rarement tenté au cinéma, sur la seule performance de Sam Rockwell, puisque, tenez-le vous pour dit, personne d'autre n'apparaît à l'écran pendant 1h37. Kevin Spacey, qui figure pourtant au casting, interprète la voix monocorde de Gerty. C'est donc Rockwell qui assume 80% du travail, avec brio.

Cela dit, Moon n'est pas qu'un pilier érigé à la gloire et au talent de son acteur principal. Non, le film brille aussi par son scénario, qui part d'une idée assez simple et en fait des merveilles. Evidemment, Duncan Jones nous parle de l'isolement et de ses conséquences sur l'esprit humain, et nous amène ainsi à nous demander si Sam Bell ne perd pas la boule, avant d'opérer un virage vers un thème plus "science-fictif". Car ne perdez pas de vue que Moon est avant tout une série B, et qu'il ne s'embarrasse donc pas d'un fond psychologique et humain poussé. De toute façon, ce n'est pas le but.

L'univers que décrit Duncan Jones est cohérent et original, et l'on est tranquillement transporté par un scénario maîtrisé et truffé de bonnes idées. Pas de twist final ou de cliffhanger tâtonnant ; il est amusant de constater que Duncan Jones refuse de prendre de trop grands risques scénaristiques, quand le film en lui-même est un gigantesque pari. Du reste, c'est divertissant, hypnotisant et intriguant. Moon est une pépite passée un peu inaperçue dans le monde de la S-F.

Sentence : 3,5/5

jeudi 1 juillet 2010

Splice

Quand Cronenberg rencontre del Toro qui rencontre Natali qui rencontre un mauvais scénariste.

Réalisé par : Vincenzo Natali
Ecrit par : Vincenzo Natali & Antoinette Terry Bryant
Avec : Adrien Brody, Sarah Polley, Delphine Chaneac
Durée : 107 min

Clive et Elsa, deux brillants biochimistes qui consacrent leur vie à leur travail, sont sur le point de découvrir une protéine de synthèse révolutionnaire pour le compte d'un puissant laboratoire pharmaceutique, en mélangeant les ADN de plusieurs espèces animales. En secret, ils combinent ADN animal et ADN humain, "au nom de la science" se persuadent-ils, et obtiennent un résultat inespéré : Dren.







Partout sur Internet, on nous présente Vincenzo Natali comme le nouveau Cronenberg et Splice comme le nouveau La Mouche. Il faut dire qu'on en retrouve beaucoup d'ingrédients : les limites morales de la science, des formes de vie fictives plus ou moins répugnantes, le genre bio-horror en somme, qui est un peu la chasse gardée de Cronenberg. Toutefois, le réalisateur d'eXistenZ n'est pas la seule source d'inspiration de Natali, loin de là. La diversité des influences de Splice se fait sentir à chaque instant, parfois douloureusement.

Il y a tout de même un fond de vérité à ces allégations. Natali est peut-être le meilleur auteur de science-fiction/fantastique intelligent de notre époque. Cube, Cypher, Nothing ; autant de films aux succès mitigés, mais qui ont le mérite de faire souffler un vent d'originalité et d'astuce sur un genre qui en manque beaucoup. C'est donc avec d'autant plus de stupeur que l'on découvre le manque d'inspiration de Splice.

Il s'agit sans doute de son projet le plus ambitieux à ce jour, celui qui lance le plus de pistes, la plupart intéressantes. Dommage qu'elles soient rarement abouties. L'essentiel du fond se base sur une variation du mythe de Prométhée : ici, l'homme fait un mauvais usage d'un savoir qui le dépasse, ce qui a des conséquences désastreuses pour lui et pour ceux qui l'entourent. La question principale concerne donc l'éthique scientifique : jusqu'où peut-on aller, y compris au nom du bien de l'humanité ? En filigrane, Splice raconte aussi l'histoire d'un couple aimant, mais qui délaisse son intimité au profit du travail, et qui trouve en Dren un enfant de substitution, ce qui donne d'ailleurs lieu à une interprétation passablement malsaine et bêta du complexe d'Oedipe.

Et c'est bien là la première tare du film : son scénario, très prévisible et parfois de mauvais goût, échoue presque systématiquement à concrétiser ses nombreuses ambitions, en prenant des raccourcis psychologiques pour arriver à ses fins. Sans oublier que l'atmosphère dérangeante et subversive qu'on nous promettait est, à quelques sursauts près, absente, et l'on a plutôt l'impression de regarder un Disney tant Natali semble frileux. Cela aurait pu ne pas être dommageable, sachant qu'une bonne partie de Splice est consacrée à l'affection grandissante qu'éprouve Clive et Elsa pour Dren. Le problème est qu'on a plus souvent l'impression de regarder un épisode de Flipper le dauphin qu'un fabuleux remake d'E.T. l'extraterrestre. Ce n'est pas de la faute de Delphine Chanéac (qui interprète la créature). Elle fait bien son boulot, la pauvre. Le dauphin aussi faisait bien son boulot.

Récapitulons : Splice fait penser à du petit Cronenberg chez Disney (rien que ça, c'est assez affolant), s'échinant pendant la moitié du film à créer une relation affectueuse et émouvante entre des humains et leur monstre-enfant, avant, constatant son échec, de faire un improbable détour vers Creature of the Black Lagoon, pour notre plus grande perplexité, ce qui, remarquez, n'aura pas manqué de nous faire sourire. C'est-à-dire que Splice est un pot un peu trop pourri.


Sentence : 2/5


lundi 28 juin 2010

Les Petits ruisseaux

Daniel Prévost dans son cercueil,
Bandait encore comme un chevreuil...

Ecrit & réalisé par : Pascal Baraté
Avec : Daniel Prévost, Bulle Ogier, Hélène Vincent
Durée : 94 min
D'après la bande dessinée du même nom de Pascal Baraté

Pour Emile, veuf et retraité, les jours se suivent et se ressemblent tristement. Il faut se rendre à l'évidence : les beaux jours sont derrière lui, il ne reste plus qu'à vivoter, entre parties de pêches et bières avec les potes au bistro du coin. La mort d'Edmond, son meilleur ami et vieux cochon éternellement en rut, agit comme un déclic. Merde à la fin, la vie d'Emile n'est pas finie, encore moins sa vie sexuelle.






Ces derniers temps, le teen-movie à la française se porte bien. Entre Les beaux gosses, Lol, et autres films aux titres éminemment porteurs de finesse et de bon goût, on arrive presque à rendre jaloux les papes de la comédie adolescente outre-atlantique. Pas de quoi être fier, me direz-vous. C'est bien. Pascal Baraté est de votre avis et son film, Les Petits ruisseaux, se contrefiche de l'éveil sexuel des bonbonnes à hormones, et lui préfère le réveil sexuel de grabataires en puissance.

C'est osé, résolument anti-glamour, et plein d'un espoir grinçant. Pascal Baraté n'en est pas tout à fait à ses premiers pas derrière la caméra, et cela se voit. La mise en scène, originale et inspirée, retranscrit fidèlement l'univers haut-en-couleur de la bande dessinée, avec ses personnages figés et ses accessoires loufoques (la demi-voiture d'Emile en tête). Ne vous laissez pas tromper par le ton tendre et gentiment désinvolte du scénario et des dialogues : le sujet abordé (l'imminence de la mort, le vide d'une vie pas encore terminée) est grave, voire pesant, et plutôt bien traité. Emile, avec son je-m'en-foutisme sinistre est un personnage attachant et intéressant.

Mais quelque chose cloche, dérange. Quoi ? Eh bien, le sujet en lui-même. En sortant de la salle, on ne peut s'empêcher de penser qu'on a vu un film de vieux, pour des vieux. Les personnages sont vieux, quand ils ne sont pas bouseux ou hippies, l'humour est vieux, le scénario est vieux. On prend un sacré coup de vieux, en somme. Si vous êtes jeune et plein de vigueur, passez votre chemin. Si vous êtes vieux et plein de libido, peut-être serez-vous amusé, bien que l'image que se fait Pascal Baraté de l'amour ridé manque cruellement d'élégance et de grandeur d'âme. Un film qui ne vole pas bien haut, mais qui a ses qualités, la plus grande étant qu'il existe.

Sentence : 2,5/5

vendredi 25 juin 2010

L'Agence tous risques

Ils ne font pas la grève, eux.

Titre original : The A-Team
Ecrit & réalisé par : Joe Carnahan
Avec : Liam Neeson, Bradley Cooper, Quinton "Rampage" Jackson, Sharlto Copley
Durée : 114 min
Adapté de la série du même nom créée par Franck Lupo

Déshonorée, mise aux arrêts après un coup monté, l'inégalable Agence tous risques s'évade et se réunit une fois encore pour terminer la mission top secrète qui leur avait été confiée et retrouver les vrais coupables derrière l'affaire.






Chaque été, on l'attend avec un plaisir coupable, le film d'action décérébré qui saura relaxer nos pauvres neurones étouffés par la chaleur poussiéreuse de juin-juillet. L'Agence tous risques est le premier à montrer le bout de son canon semi-automatique et joue la carte de l'invraisemblance décomplexée. Un choix louable à l'apogée du film d'action dit "réaliste" et tourné façon documentaire au coeur de la guerre.

Joe Carnahan, habitué des films musclés et grand fan de la série originale, s'en sort mieux à l'écriture qu'à la réalisation, alors qu'on aurait attendu l'inverse d'un tel projet. L'intrigue en elle-même est plutôt bien ficelée, les relations entre les personnages savoureuses, qualité que l'on doit surtout aux quatre acteurs principaux et à l'atmosphère gaillarde qu'ils distillent à grand renfort de vannes plus ou moins potaches. Bien sûr, tout cela ne vole jamais bien haut et l'actualisation du contexte sent le réchauffé à plein nez - un peu de guerre en Irak par-ci, un peu de complot de la CIA par-là, le tout sur fond de critique inoffensive de l'armée. Ce qui est familier rassure, quand cela n'ennuie pas.

Plus embêtante est la qualité inégale de la réalisation, qui s'emmêle les pinceaux dès que ça bouge un peu et que le numérique n'est plus là pour sauver la mise. Cédant aux diktats de la caméra agitée type Paul Greengrass, Joe Carnahan jette aux orties toute notion de cadrage et sert avec ardeur une bouillie confuse pour le plus grand malheur de nos yeux fatigués. Montage très nerveux et plans-éclairs sont autant de "trucs" de plus en plus à la mode dont Carnahan est friand, mais qui agacent et égarent plus qu'autre chose.

Cela étant dit, ne soyons pas injustes. Malgré ses défauts, le plus grand atout de L'Agence tous risques est qu'elle ne se prend pas au sérieux et se regarde très facilement - quelques soupirs, à la limite, mais rien qui vienne bouleverser le bon moment que l'on passe pendant deux petites heures.

Sentence : 2,5/5

jeudi 24 juin 2010

L'Échelle de Jacob

Le paradis, l'enfer : quel bordel.

Titre original : Jacob's Ladder
Réalisé par : Adrian Lyne (1991)
Ecrit par : Bruce Joel Rubin
Avec : Tim Robbins, Elizabeth Pena, Danny Aiello
Durée : 112 min

Quelque chose ne tourne pas rond dans la vie de Jacob Singer : d'abord, il y a ces flashs-back insupportables sur la guerre du Viet-Nam, puis ces cauchemars qui semblent prendre le pas sur la réalité, durant lesquels son troisième fils est encore vivant et son ex-femme encore aimante. Mais le pire dans tout cela, ce sont ces étranges créatures, des démons, il en est convaincu, qui le poursuivent partout, Dieu sait dans quel but.






Souvent, le parcours sans faute de cinéastes réputés est entaché par un film déraisonnablement mauvais, pour des raisons diverses - caprices de producteur, rêve d'enfant, gastro pendant le tournage... Dernier exemple en date, l'infect Robin des Bois de Ridley Scott, dont le nom tintait pourtant comme un gage de qualité (d'Alien à Robin des Bois, comment a-t-on pu en arriver là ?).
Et puis, plus rarement, c'est l'inverse qui se produit, c'est-à-dire qu'un cinéaste quelconque brille l'espace d'un long-métrage, avant de retomber dans la fadeur qui l'a jusqu'ici caractérisé. Adrian Lyne et L'Echelle de Jacob sont de cette catégorie-là.

D'un point de vue thématique et qualitatif, le film ne ressemble à rien de ce que le cinéaste a produit et/ou réalisé avant cela. Plutôt habitué aux thrillers sulfureux sans prétention, Adrian Lyne semble n'avoir été que l'orfèvre -habile et efficace, reconnaissons-le- au service de la plume torturée de Bruce Joel Rubin.

Inspiré de la libre interprétation d'un épisode de la Bible qui porte le même nom, le film est, sans surprise, chargé d'images et de références bibliques (ne serait-ce que les prénoms des personnages). Le contraire eut été étonnant : les thèmes principaux de L'Echelle de Jacob sont la vie, la mort, l'enfer, le paradis, le tout saupoudré d'une déclaration anti-militariste qui a du mal à s'intégrer dans l'histoire de fond, résolument spirituelle et métaphysique. Car non, ce n'est pas un film que l'on visionne à une heure du matin en grignotant et en discutant avec des amis après une soirée plus ou moins arrosée. Bruce J. Rubin n'a d'autre vocation, pendant 1h30, que d'égarer le spectateur, avec beaucoup d'intelligence et de doigté, dans les méandres paranoïaques de l'esprit de Jacob, ex du Viet-Nam et traumatisé comme il se doit. Comme lui donc, on est balloté avec un cynisme cruel entre réalité cauchemardesque et idéal illusoire, tout cela pour nous mener où ? Vous le saurez en tant voulu.

L'Echelle de Jacob n'est pas le film labyrinthique au cadenas tenace que l'on nous a présenté ici et là ; Bruce J. Rubin maîtrise parfaitement son script, ce qui, étant donné l'oeuvre en question, revient à dompter un taureau furieux de huit tonnes avec une main dans le dos. Pour peu que l'on soit attentif, la clé nous est gracieusement fournie dans le dernier quart du film, qui prend tout son sens. Les sentiments commencent alors à se bousculer dans notre esprit mis à rude épreuve, mais on est sûr d'une chose : c'est ambitieux, c'est intelligent, c'est beau. On en veut plus, des films comme celui-là.

Sentence : 4/5


lundi 21 juin 2010

Amours Chiennes

"Love's a bitch, ain't it ?"

Titre original : Amores Perros
Réalisé par : Alejandro Gonzalez Inarritu (2000)
Ecrit par : Guillermo Arriaga
Avec : Gael Garcia Bernal, Emilio Echevarria, Goya Toledo
Durée : 153 min

Au Mexique, les vies tumultueuses de trois âmes qui ont en commun d'être motivées par leurs amours illégitimes. Octavio veut s'enfuir avec l'épouse de son frère, Daniel se sépare de la sienne pour vivre avec son amante, El Chivo enfin, cherche à se rapprocher de sa fille qui le croit mort.






S'il est bien un réalisateur qui apporte de l'eau au moulin des partisans de la politique des auteurs, c'est Alejandro Gonzalez Inarritu. Quatre films seulement à son actif, dont le dernier a été présenté à Cannes cette année (Biutiful), et déjà une reconnaissance internationale, un style unique et des histoires de destins croisés qui sont sa marque de fabrique. Son premier long-métrage, Amours Chiennes, ne fait pas exception (ou presque).

Au programme, trois récits superposés, clairement séparés les uns des autres et qui brassent des thèmes chers à Inarritu - les relations familiales conflictuelles, la rédemption, l'amour face à une tragédie. Les trois histoires ne sont reliées entre elles que de façon très superficielle, et on est loin de l'entrelacs de destins humains d'un Babel ou d'un 21 grams. Une prise de position qui étonne et, à dire vrai, qui n'est pas plaisante. On sort un peu las du visionnage, un sentiment d'autant plus vif que le film est très long (2h33 !) et surtout, discontinu. En outre, Guillermo Arriaga, l'écrivain attitré d'Inarritu, fait preuve d'une timidité frustrante : les personnages sont assez simples, les situations parfois prévisibles ; seule la dernière histoire sort du lot et apporte un peu de complexité et beaucoup d'humanité à ce film qui en manque cruellement.

Inarritu fait pourtant preuve d'une maîtrise technique remarquable pour son premier long-métrage : on reconnaît déjà son style, caméra à l'épaule, au plus près des visages des acteurs. Seul bémol, peut-être signe d'inexpérience, sinon d'une faute de goût, la gestion de la bande originale, un peu hasardeuse, qui résonne souvent comme une fausse note dans les moments-clés d'Amours Chiennes. Vraiment, voilà un étrange projet. Sans doute Inarritu était-il gourmand ou pessimiste et pensait qu'il n'aurait plus l'occasion de raconter d'histoires après ce film-là : il a décidé de regrouper trois moyens-métrages sous la bannière un peu vacillante de l'amour coupable, de vaguement les relier entre eux et d'en faire un film très, très long. Amours Chiennes est héraut de sa filmographie, il n'est qu'un Babel inachevé.

Sentence : 2,5/5

jeudi 17 juin 2010

L'Illusionniste

"Rock m'a tuer"-le Music Hall

Réalisé par : Sylvain Chomet
D'après un scénario original de Jacques Tati.
Durée : 80 min

A la fin des années 50, un illusionniste français se rend compte que ses tours de passe-passe n'intéressent plus grand-monde ; le Rock'n'Roll balaie tout sur son passage. Les contrats se faisant de plus en plus rares, il part tenter sa chance en Angleterre, sans plus de succès, où il rencontre Alice, une jeune fille sans le sou qu'il prend sous son aile.







C'est en fouillant dans les vieux tiroirs de son illustre père que Sophie Tatischeff a sorti cette perle de l'animation 2D. Sylvain Chomet, auteur des fameuses Triplettes de Belleville, ne pouvait rêver d'un meilleur projet, lui qui vouait une admiration sincère à Jacques Tati. C'est donc le coeur gonflé d'orgueil qu'il s'est attelé à la réalisation de ce fossile des temps modernes, criant "merde" aux poncifs de l'animation 3D pour privilégier une esthétique à l'ancienne.

Et tenez-le vous pour dit : l'ère des dessins animés n'est pas révolue, loin s'en faut. Le charme poussiéreux de L'Illusionniste tient à son animation irréprochable et à son atmosphère unique, savant mélange de magie, de nostalgie et de drame social. Non, ceci n'est pas pour les enfants, ils s'ennuieront et passeront à côté de l'essentiel : Sylvain Chomet pose la question de la place de l'artiste dans la société. Une époque bien grise pour qui ne vit pas avec son temps, une époque qui pousse des clowns au suicide et des ventriloques à la vente de leur marionnette. Ce contraste saisissant entre magie et préoccupations terre-à-terre mais nécessaires est au coeur du film et en fait toute la force tragique, à l'image du dernier message du protagoniste pour Alice, qui résonne comme un glas assassin dans l'univers du rêve et du Music Hall.

Et comme Sylvain Chomet n'aime guère la facilité -on lui en est reconnaissant-, il s'imposa un deuxième défi de taille, créer une relation humaine et attachante entre deux personnages de papier qui ne parlent presque jamais, sans utiliser de gros plan, façon vieille école donc, en filmant les personnages "de pied". Avec ses airs de dandy maniéré et maladroit, l'illusionniste est un bloc d'élégance et d'humanité bienveillante qui vous ravit avant de vous émerveiller. Voir ces deux âmes égarées veiller l'une sur l'autre a quelque chose de rafraîchissant et fait oublier, l'espace de quelques plans fixes, le monde extérieur, le quotidien et sa platitude. C'est cela, la grande force de L'Illusionniste : c'est plus qu'un film, c'est un numéro, un tour de magie qui vous fait décoller avant de vous ramener au sol avec force et raffinement à la fois.


Sentence : 4,5/5

dimanche 13 juin 2010

Gosford Park

Ils sont fous ces bretons.

Réalisé & co-écrit par : Robert Altman (2001)
Avec : Clive Owen, Kristin Scott Thomas, Michael Gambon
Durée : 137 min

En 1932, une famille d'aristocrates anglais organise une partie de chasse à cours à laquelle sont conviés de nombreux invités. Un meurtre survenu dans la soirée bouleverse les codes et les convenances figés de cette micro-société partagée entre deux mondes : celui des maîtres et celui des serviteurs.






Gosford Park n'est pas tant une enquête policière qu'une représentation détaillée des moeurs de l'aristocratie anglaise des années 30. L'essentiel du film est en effet consacré à l'interdépendance très hegelienne qui résume les relations entre aristocrates et leurs valets : les uns passent leur temps à discuter des ragots sur les autres, et vice-versa. Ôtez leurs valets aux aristocrates et ils se retrouvent seuls dans un grand monde menaçant ; quant aux valets, ils ne sont rien sans leurs maîtres. Ce n'est donc pas un hasard si l'enquête policière passe au second plan, à l'image de l'inspecteur Thompson, personnage volontairement effacé, qui n'apparaît jamais seul ou au premier plan.

Robert Altman et Bob Balaban se sont d'ailleurs beaucoup inspirés des romans d'Agatha Christie pour l'écriture du scénario de Gosford Park (seul Oscar acquis sur les sept nominations) : des personnages fourbes, des secrets coupables, l'hypocrisie la plus crue comme credo universel ; tout cela est dépeint avec un humour très anglais et un jeu de clair-obscur habile. Car la réalisation est exemplaire, élégante dans sa simplicité et son sens du détail.

Pourtant, il y a une tache sur cet impressionnant tableau, un défaut qui n'en est peut-être pas un, mais qui ennuie malgré tout, dans tous les sens du terme. Le scénario, bien qu'il fût seul à être récompensé aux oscars, souffre de sa longueur. Gosford Park est très lent à démarrer, c'est un fait, pour une raison qui le poursuit pendant 2h17 (!) : Bob Balaban et Robert Altman sont très bavards, et n'aiment guère l'action. Cela n'aurait pas été gênant si, à la place des points-virgules, nos deux auteurs avaient ponctué les répliques de leurs personnages de touches d'humour. C'est d'autant plus regrettable qu'ils le font très bien, mais trop rarement pour saborder l'ennui qui, comme un affreux navire rempli de colporteurs, vient tranquillement s'installer à quai.

On pardonne volontiers la mollesse du scénario qu'il compense avec son intelligence et ses idées. L'univers de Gosford Park est bien plus complexe qu'une énième représentation de la lutte des classes : chaque camp trouve son compte dans l'immobilisme et ceux qui dérogent à la règle en mettant un pied d'un côté ou de l'autre de la frontière sont punis tôt ou tard, et personne ne s'en étonne ni ne s'en plaint, pas même les intéressés. C'est finalement une bonne chose que les auteurs aient délaissé l'enquête policière au profit de l'aspect social : entre humour noir et cynisme à l'anglaise, rarement portrait de l'aristocratie et de son fonctionnement aura brillé avec autant d'éclat.


Sentence : 4/5

mardi 8 juin 2010

Rabia

T'as regardé ma copine là ?

Ecrit & réalisé par : Sebastian Cordero
Avec : Gustavo Sanchez Parra, Martina Garcia, Iciar Bollain
Durée : 95 min
Adapté du roman Rabia de Sergio Bizzio


Rosa et José Maria sont deux immigrés sud-américains à Madrid. L'une est bonne dans l'immense manoir d'un couple de riches retraités, l'autre est ouvrier sur un chantier. Lorsqu'il commet accidentellement un meurtre, il part se réfugier dans le manoir où travaille sa compagne, sans même que celle-ci soit au courant.






On voit partout sur les affiches et les présentations de Rabia le nom prestigieux de Guillermo del Toro, comme un gros lampion rassurant pour attirer le spectateur lambda, un peu frileux à l'idée d'aller voir un thriller romantique colombien. Mais ne nous méprenons pas, le réalisateur joufflu auteur du Labyrinthe de Pan n'est que le producteur de ce huis clos d'un genre un peu particulier, puisque l'action est centrée sur un personnage que l'on sait dangereux, mais dont les habitants du manoir ignorent la présence. Le film fonctionne à plein régime sur cette ironie dramatique qui fait de José Maria tantôt un démon invisible, tantôt un ange gardien.

Pourtant, il va bien falloir que l'on retienne ce nom : Sebastian Cordero, jeune réalisateur dont c'est le deuxième long-métrage, mais qui nous éblouit par son sens de la mise en scène, habile et délicat, un peu moins par son sens de l'écriture. C'est dommage, car dans le cas contraire, on se serait empressé de crier au chef-d'oeuvre : le directeur photo concurrence en maîtrise et en talent le réalisateur lui-même, qui s'échine à créer une ambiance oppressante. Car Rabia est avant tout un film d'atmosphère, mis à mal par son scénario un peu faiblard, malgré quelques bonnes idées. L'action est lente, les personnages classiques et les situations parfois prévisibles, mais on se laisse prendre au jeu. Sebastian Cordero n'est pas un grand auteur, mais son style fait l'affaire. Le personnage de José Maria, associé à l'image du rat, dépérit tandis que Rosa s'épanouit, et l'on apprécie la symbolique finale de la renaissance, touchante et élégante.

Rabia n'est donc pas un simple thriller fantastique estampillé "del Toro". A l'avenir, espérons que les noms sur l'affiche seront inversés, et que le producteur mexicain apparaîtra en bas, en petits caractères, pour laisser Sebastian Cordero à sa place légitime, au sommet de son oeuvre. Un nom avec lequel il faudra compter.


Sentence : 3,5/5

samedi 5 juin 2010

La Tête en friche

Un Oedipe très contrarié.

Ecrit & réalisé par : Jean Becker
Avec : Gérard Depardieu, Gisèle Casadesus, Maurane
Durée : 82 min
Adapté du roman La Tête en friche de Marie-Sabine Roger

Germain Chazes est un brave gars quasi-analphabète qui partage ses journées entre boulot, bistrot, dodo, jusqu'à sa rencontre avec Margueritte (avec deux "t"), une retraitée de 95 ans, avec qui il va se lier d'amitié. Ensemble, ils lisent des classiques de la littérature française, et surtout, apportent un peu de soleil dans leurs vies respectives.






Il est de ces films qui se sont trompés de porte d'entrée. Au lieu d'emprunter le légitime couloir de la télévision, fort de leur casting luxueux et avide de prestige, voilà qu'ils se retrouvent dans une salle de cinéma, sans avoir conscience de ne pas être à leur place. Et voir un téléfilm au cinéma, c'est énervant.

Seulement, Gérard Depardieu ne tourne plus à la télévision, et Jean Becker peut lui en être reconnaissant : il est le capitaine de ce navire branlant et le sauve du naufrage complet par sa performance massive du benêt de service. La tâche était à la hauteur de son talent. Traiter d'un tel sujet a en effet quelque chose de vicieux : choisir comme protagonistes un simplet avec le coeur sur la main et une grand-mère sage et malicieuse est dangereux, car cela signifie s'exposer à la facilité. Eh oui, c'est facile d'être attendri par une histoire d'amitié entre deux cas sociaux comme Germain Chazes et Margueritte, tellement facile que Jean Becker n'a pas jugé utile de faire quelques efforts d'écriture.

Car disons-le, tout cela n'est pas très inspiré et mal dialogué. Margueritte est la caricature de la grand-mère philosophante et sympathique, qui sert de mère de substitution à un grand enfant qui n'eut pour seul parent qu'une matrone désagréable et alcoolique. Seul Chazes s'en sort plutôt bien et parvient à dépasser son simple statut d'idiot attachant. Malheureusement, c'est peut-être le seul aspect positif de La Tête en friche, qui souffre d'une réalisation fade et d'un montage hasardeux. Jean Becker a d'autant moins de mérite qu'il s'agit d'une adaptation de roman ! Il prouve uniquement qu'une bonne idée n'est pas synonyme d'une bonne histoire...


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