mardi 20 avril 2010

eXistenZ

"Cogito ergo... euh..."
-Descartes, après avoir joué à eXistenZ

Ecrit & réalisé par : David Cronenberg (1999)
Avec : Jude Law, Jennifer Jason Leigh
Durée : 96 minutes

David Cronenberg fait partie de ces réalisateurs qui exploitent une poignée de thèmes différents dans tous leurs films - la sexualité, la psychanalyse, la médecine et le corps humain au service de la science dans son cas. eXistenZ est un peu une somme de tous ces thèmes.
Dans un futur proche, une nouvelle plate-forme de jeux a révolutionné l'univers vidéoludique : les joueurs se "branchent" d'eux-même à une drôle de bestiole (Un "pod") à l'aide d'une sorte de cordon ombilical géant (un "ombicâble"), à travers un trou qu'ils se sont fait installer dans le dos par le biais d'une opération simple. Ils évoluent alors dans l'univers du jeu. Seulement voilà, des fanatiques veulent tuer Allegra (la créatrice de jeux), et la poursuite continue dans l'univers virtuel.






C'est dans cet univers trouble que Cronenberg pose les bases d'un nouveau genre de thriller fantastique, puisque le but est, à terme, d'égarer le spectateur, afin qu'il ne puisse plus vraiment faire la différence entre réel et virtuel.
Dans ses longs-métrage horrifiques, il avait déployé un cinéma très organique et quelque peu répugnant (ne serait-ce que dans Shivers). eXistenZ ne fait pas exception : les quelques accessoires futuristes que l'on aperçoit à l'écran sont tous très "vivants", même la console de jeu (surtout la console de jeu, à vrai dire). De même, dans Crash, il avait exprimé sa conviction que mort et désir sexuel sont intimement liés. Dans une moindre mesure, c'est un thème que l'on retrouve ici. Jouer à eXistenZ est très similaire à un rapport sexuel : Allegra explique que c'est beaucoup mieux "avec quelqu'un d'amical que tout seul", les joueurs se connectent par pénétration d'une matière organique dans leur dos et naviguer dans le jeu procure un plaisir évident, pas seulement parce que c'est amusant.
Ajoutez à cela la liberté de céder à ses pulsions dans l'univers du jeu (souvent des pulsions de meurtre) et vous aurez un message pas si éloigné de celui de Crash.

Mais le film pose surtout la question de l'influence des jeux vidéo sur la réalité. Bien vite, les personnages deviennent accro à eXistenZ, bien qu'ils soient poursuivis par des fanatiques assoiffés de sang, et finissent par ne plus faire la différence entre le virtuel et le réel. La réalité leur apparaît fade et sans intérêt ; ils préfèrent se réfugier dans le jeu, où ils peuvent laisser libre cours à leurs instincts les plus primaires.

L'idée de base est absolument géniale : le jeu vidéo est un milieu peu exploité au cinéma, et Cronenberg a su donner à son univers une identité atypique, dérangeante et passionnante. Le scénario est extrêmement bien écrit, on évolue de rebondissements en rebondissements, sans jamais savoir où le jeu emmène les personnages, ni le spectateur. Le film opère un crescendo malsain dans le comportement des deux héros ; d'abord rechignant à avoir recours au meurtre, ils le font de plus en plus facilement, et finalement, par pur plaisir. Pas une fois, dans ce dédale de trahisons, de grotesque et d'absurde, on ne sait comment le film va se terminer, jusqu'à la révélation finale, qui ne peut s'empêcher de laisser planer un voile de doute sur la réalité.

Un concept d'ailleurs très relatif, puisque c'est aussi le propre du cinéma que de plonger le spectateur dans un univers fictif, comme le jeu vidéo. La film lance des pistes de réflexion complexes : jusqu'où s'arrête la fiction ? Quelle est son influence sur nos comportements ? En est-on bien le maître ? Cronenberg aborde des sujets brûlants qu'il serait réducteur de n'appliquer qu'au monde des jeux vidéo. De son introduction à sa conclusion, eXistenZ fascine, interroge, égare et se laisse regarder grâce à un scénario diabolique d'intelligence. Assurément l'une des plus belles réussites de Cronenberg.


Sentence : 4,5/5

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