dimanche 30 mai 2010

L'arnacoeur

Docteur tue-l'amour.

Réalisé par : Pascal Chaumeil
Avec : Romain Duris, Vanessa Paradis, François Damiens
Durée : 105 min

Alex a un métier des plus farfelus : il est briseur de couples professionnel. Mais attention, ses cibles sont toujours des filles malheureuses. Point de diffamation ou de coups tordus pour arriver à ses fins ; la séduction est son arme, et avec une bonne préparation, personne ne lui résiste. Un jour, on lui propose un contrat inhabituel, séduire une jeune femme heureuse comme tout dont le mariage est dans dix jours.






L'Arnacoeur a l'intelligence de se baser sur le procédé très à la mode du coaching. Il y avait un coach pour séduire, un autre pour faire la cuisine, un autre pour sortir le chien... Et bien maintenant, place à Alex, le coach qui ouvre les yeux de ces demoiselles assez sottes pour s'enticher d'amants médiocres. A ce premier élément s'ajoute toutes les ficelles du film d'arnaques, c'est-à-dire une succession de mises en scène exquises interprétées avec beaucoup de fraîcheur par Romain Duris.

Mais il ne serait rien sans ses deux fidèles side-kick, remarquables Julie Ferrier et François Damiens, bien plus que deux faire-valoir sans saveur ni odeur. Rarement une comédie populaire aura autant brillé par ses seconds rôles et - surprise !- par sa mise en scène, très maîtrisée et intelligente. On ne se doute pas, en regardant L'Arnacoeur, qu'il s'agit du premier long-métrage de Pascal Chaumeil, qui n'avait été jusqu'ici qu'assistant réalisateur.

Cela dit, modérons notre enthousiasme. L'inexpérience du commandant de bord concurrence en vacuité les prises de risque pendant le tournage du film et l'écriture du scénario. Si l'on devait résumer L'Arnacoeur en un mot, on dirait qu'il est efficace. Mais d'une efficacité redoutable : on sourit, on rit, on s'esclaffe devant les numéros comiques des trois chirurgiens de l'amour, qui arrachent les flèches que Cupidon a décochées à tort et à travers. Et lorsqu'Alex doit séduire Juliette, qui est très amoureuse de son prince (trop) charmant, ça pétille, comme des bulles de champagnes : élégant, gracieux, le couple Romain Duris/Vanessa Paradis fait mouche.

Vraiment, quel dommage que le film soit rattrapé par les exigences de sa propre nature ! Car c'est une comédie romantique qui s'étouffe avec ses bons sentiments à la fin de son marathon de l'hum... de l'amour. Mais qui sait ? Peut-être que c'est ce qu'on attend d'une comédie populaire...


Sentence : 3,5/5

mercredi 26 mai 2010

Iron Man 2

2 Iron men.

Réalisé par : Jon Favreau
Avec : Robert Downey Jr., Don Cheadle, Mickey Rourke
Durée : 117 min
D'après le comic Iron Man de Stan Lee

Tony Stark, alias Iron Man, dont l'identité secrète a été révélée au monde à la fin du premier volet, coule des jours heureux et glorieux, mais subit la pression du gouvernement pour livrer le secret de son armure à l'armée. Pendant ce temps, en Russie, un paria prépare sa vengeance contre la famille Stark.





Iron Man premier du nom avait réussi à apporter un vent de fraîcheur sur le monde toujours plus florissant des adaptations cinématographiques de comic books avec son anti-héros flambeur, égoïste, mégalo, bref méprisable mais bougrement sympathique malgré cela. On avait regretté toutefois l'absence de méchant charismatique, et Dieu sait s'ils sont importants dans les univers bigarrés de Marvel. La moindre des choses était de rectifier le tir dans ce deuxième épisode.

C'est à croire que Jon Favreau avait mis cette condition en haut de son cahier des charges ; avec ses longs cheveux grisonnants et sa silhouette imposante, Mickey Rourke irradie une sauvagerie majestueuse et apparaît dans toute sa splendeur pendant le Grand Prix de Monaco, incontestablement le moment le plus réussi du film. Plus bavard, mais aussi plus intelligent, le film se paye le luxe de titiller l'armée américaine avec un sous-texte politique timide, mais parfois étonnant (cf. Tony Stark qui clame "J'ai privatisé la paix mondiale !" (!))

Le reste du temps, Iron Man 2 se repose sur ses acquis. Tony Stark est toujours aussi divertissant, les nouveaux personnages ont pour seul mérite d'être interprétés par des stars internationales, et le scénario ne prend guère de risque en suivant consciencieusement son canevas très balisé. Mais ne soyons pas rabat-joie ; malgré un final décevant, ce deuxième volet se hisse au niveau de son aîné et confirme que la franchise Iron Man a encore de beaux jours devant elle.


Sentence : 3/5

mardi 25 mai 2010

Robin des Bois [2010]

Robin Hood : Origins

Titre original : Robin Hood
Réalisé par : Ridley Scott
Avec : Russell Crowe, Cate Blanchett, Mark Strong
Durée : 140 min

Une sorte de genèse aux aventures de Robin des Bois tel que nous le connaissons, son retour des croisades et son organisation de la défense d'Angleterre contre le perfide Sir Godefroy et son alliance avec la France.






Pour cette énième version des péripéties de Robin Longstride, Ridley Scott, que l'on sait amoureux des sociétés moyenâgeuses et antiques, propose sa propre vision du mythe, plus documentée et réaliste que les adaptations hautes-en-couleur qui mettaient en scène Errol Flynn et consorts.

Ici, Robin n'est pas un noble, mais un humble archer anglais dans l'armée de Richard Coeur de Lion, fils d'un tailleur de pierre, et qui ne sera anobli qu'à la suite de circonstances malheureuses. Mais il n'a rien perdu de sa verve dans le procédé. Tenez-le vous pour dit : ce Robin des Bois est un bouseux qui parle comme Voltaire, taillé comme un culturiste malgré son poste d'archer (arc qu'il ne tarde pas à troquer contre un bon vieux marteau, qui convient mieux à sa silhouette).

Mais Ridley Scott, qui n'est pas à une incohérence près, est un réalisateur qui aime la simplicité. Dans cette version qui se veut plus sérieuse et historique que les autres, les méchants sont très méchants et les gentils, très gentils. Un Marvel serait moins manichéen. Forcément, tout cela est très prévisible, et seuls les abominables clichés charroyés avec enthousiasme égorgent l'ennui pour le remplacer par la consternation. On aurait préféré s'ennuyer : au moins les belles images du film charment la prunelle, entre deux gros soupirs.

Ironiquement, c'est le Roi Jean qui s'en sort le mieux dans cet épouvantable fatras de plumes indigestes. Plus humain, plus bête aussi, mais pas moins méchant, ce vilain-là aura eu le mérite d'apporter un soupçon de complexité et d'humanité dans un monde régi par le noir et le blanc. Chercher les autres couleurs du prisme est peine perdue.

Même les scènes de bataille, dont Ridley est pourtant un habitué, sont très brouillonnes, quand elles ne sont pas ridicules : nous ne reviendrons pas sur le débarquement final et le bataillon d'enfants sauvages chevauchant fièrement leurs poneys de guerre (!), mené par Lady Marianne, en armure s'il vous plaît (!!), avant que Philippe de France ne ponctue sa défaite par un magistral "Tant pis, on s'en va"(!!!). On oublie et on retourne regarder Kingdom of Heaven.


Sentence : 1,5/5

samedi 22 mai 2010

Bug

Ils sont partout !

Réalisé par : William Friedkin (2006)
Avec : Ashley Judd, Michael Shannon, Lynn Collins
Durée : 90 minutes

Agnès vit seule dans un motel au milieu du désert. Un soir, elle accueille Peter Evans pour la nuit, un vagabond un peu laconique, et l'invite à rester plus longtemps car sa compagnie lui apporte du réconfort. C'était sans compter les innombrables insectes invisibles qui, eux aussi, ont décider de rester un peu.






On attend toujours beaucoup des films de William Friedkin qui, depuis L'Exorciste, n'avait pas fait beaucoup parler de lui. Après avoir exploré à quelques exceptions près tous les genres de cinéma, voilà qu'il s'intéresse au thriller paranoïaque sur fond de discours antimilitariste. Noble cause, pour laquelle Friedkin réunit méticuleusement tous les ingrédients classiques : lieu isolé, huis clos, personnages ambigus, contexte de misère sociale.

Paresseux, mais intelligent, Bug surprend pendant toute sa première partie, par son manque de moyen et son parti pris de tout miser sur la relation étrange entre Agnès et Peter. Il ne se passe rien, et pourtant on s'interroge, on s'inquiète, on commence à effleurer les enjeux du film. De bonnes idées de mise en scène participent à la création d'un climat oppressant. Mais au fil des délires grandissant de Peter, le film perd de son charme délétère, et succombe à sa fainéantise pour ne garder de ses atours que sa maîtrise technique et son sens du décor. Quelques facilités d'écriture (le personnage d'Agnès), heureusement sauvegardées par l'interprétation brillante des acteurs, achèvent de donner à Bug son caractère prévisible.

Ne perdons pas de vue que le charme d'un thriller paranoïaque est l'ambiguïté permanente dans laquelle il est censé plonger le spectateur, qui doit en permanence se poser la question : délire schizophrène ou réel complot ? A mi-chemin seulement, on a trouvé la réponse et seul un ultime rebond scénaristique parvient à réveiller notre attention assoupie dans la dernière partie du film.

Redondante et poussive, la fin renvoie au placard tout ce qui avait fait le charme de Bug jusqu'ici, pour se concentrer sur une étude de caractère guère passionnante et plutôt maladroite.

Seuls les décors finaux, représentation hallucinée de l'antichambre de la folie, gardent cette étincelle de génie qui nous avait captivée. Dommage que le delirium tremens de Friedkin soit si flemmard et conventionnel.


Sentence : 2,5/5

vendredi 21 mai 2010

Daybreakers

True Blood sans True Blood.

Ecrit & réalisé par : Michael & Peter Spierig
Avec : Ethan Hawke, Sam Neil, Willem Dafoe
Durée : 96 min

Dans un futur proche, toute l'humanité a été transformée en vampires. Toute ? Non ! Un petit groupe d'irréductibles humains résistent encore et toujours à la mise en élevage de leur espèce par les suceurs de sang, qui sont bien embêtés car ils n'auront bientôt plus de quoi se nourrir. Au milieu de ce bazar, Edward Dalton (Ethan Hawke), un gentil hématologue, se retrouve à aider des humains et leur résistance de fortune.






On s'est tous posé la question. Comment se fait-il que les vampires se cachent du monde extérieur, alors que s'ils s'y mettaient, ils pourraient renverser les humains en deux temps trois mouvements ? Il était temps que des réalisateurs sérieux se le demandent aussi.

Enfin, sérieux....

Mais ne soyons pas de mauvaise foi. Daybreakers est une pure série B tentant de renouveler un genre malmené ces derniers temps (inutile d'être plus précis ; vous voyez à quelles abominations je fais allusion), et il y parvient à bien des égards. Dommage qu'il soit aussi très frustrant : Daybreakers n'est pas mal, il aurait pu être excellent.

L'incontestable point fort du film est son scénario, mélangeant habilement science-fiction et fantastique, mitonné avec amour par les frères Spierig eux-mêmes pendant deux ans. Un travail qui a porté ses fruits, puisque l'univers de Daybreakers est pétri de bonnes idées et surprend par sa cohérence et son intelligence. Comme souvent dans ce genre de cas, les vingt premières minutes (la présentation du monde fictif) sont les plus passionnantes, avant que les phases dialoguées ne débutent.

On pardonnerait volontiers des dialogues badass caricaturaux dans l'univers de Robert Rodriguez, et pour cause : c'est ce qu'on demande, et c'est très maîtrisé. En l'occurrence, les répliques des personnages semblent toutes avoir été écrites avec les pieds, un jour de beuverie et charrient d'affreux clichés qui, en d'autres circonstances et entre les mains de quelqu'un d'autre, auraient pu être divertissants. Sans surprise (c'est le cas de le dire), le scénario et la mise en scène sont très prévisibles, mais on saluera le travail des maquilleurs et créateurs d'effets visuels (chapeau bas pour les costumes des immondes vampires dégénérés), qui ont pris un plaisir très gamin à faire exploser et/ou démembrer des corps avec force détails, pour notre plus grand bonheur.

S'il est évident que l'équipe du film s'est amusé pendant le tournage, on eut apprécié de vrais écrivains derrière un tel projet. L'intégralité des bonnes idées a été réservée à la création de l'univers lui-même, aux dépens de l'intrigue plutôt faiblarde. Dommage, Daybreakers méritait mieux, et nous aussi.


Sentence : 2,5/5

jeudi 20 mai 2010

The Barber

"Demon barber" malgré lui.

Titre original : The Man Who Wasn't There
Réalisé et co-écrit par : Joel Coen (2001)
Avec : Billy Bob Thornton, Frances McDormand, James Gandolfini
Durée : 116 min

Ed Crane est coiffeur dans le salon de son beau-frère et sa femme le trompe. Laconique et blasé, il est l'homme que personne ne remarque. Prêt à tout pour changer de vie, il commence une combine qui le dépasse rapidement.






On ne peut vraiment considérer The Barber comme un polar, tant les systèmes judiciaire et policier y sont mis à mal, mais plutôt comme un film noir, hommage revendiqué par les frères Coen lors de sa présentation à Cannes en 2001.

La police a toujours été un aspect secondaire de la filmographie des frères Coen, et elle a systématiquement un coup de retard sur les protagonistes (entre autres, dans No Country for Old Men ou même Barton Fink). L'action est donc centré sur Ed Crane, modeste coiffeur piégé dans un monde où il ne trouve pas sa place, et sur les autres personnages, empêtrés parfois malgré eux dans les combines un peu foireuses du héros.

Il serait pourtant abusif de voir en The Barber un film dénonciateur ou militant. La représentation d'un monde absurde, dans lequel le protagoniste s'enfonce de plus en plus en comprenant de moins en moins est un thème fondamental de la filmographie des frères Coen et sert de pierre angulaire aux histoires qu'ils racontent. Histoire simple, à propos d'hommes et de femmes simples, comme d'habitude, mais mise en scène et en image avec une virtuosité peu commune, même pour eux.

Car The Barber est avant tout un monstre d'esthétisme, magnifiquement porté par son interprète principal, Billy Bob Thornton dont le charme glacial captive et inquiète. La plume légère et grinçante, l'intelligence et l'élégance du scénario n'ont d'égaux que le sens de la mise en scène et de la photographie, toujours aussi maniaques. Ed Crane est pris dans une spirale dont il aurait dû toucher le fond après une demi-heure de film, mais avec une ironie sadique, le voilà balloté par le destin comme une pelote de laine entre les mains d'un chat persan. On ne sait si l'on doit plaindre ce personnage ambigu, sans scrupule ni remords, mais qui lutte, comme on le ferait peut-être à sa place, pour trouver sa place dans le monde. Avec une grâce et un cynisme très noirs, Les frères Coen racontent une triste fable ancrée dans la réalité, à la beauté sombre et envoûtante.


Sentence : 4,5/5

mardi 18 mai 2010

Samson & Delilah

Du sable et du pétrole.

Ecrit & réalisé par : Warwick Thornton
Avec : Rowan McNamara, Marissa Gibson
Durée : 101 min

Pour Samson et Delilah, deux aborigènes australiens, les jours se suivent et se ressemblent. Elle travaille avec sa grand-mère et la maintient en vie, lui ne fait rien, à part sniffer de l'essence et écouter de la musique. Un jour, ils s'enfuient et partent pour la ville, dans l'espoir d'une vie moins vide. Une décision inconséquente...






Mettons les choses au clair : Samson & Delilah n'est pas un film revendicatif dépensant son heure quarante de parole à dépeindre la noirceur de la vie des aborigènes. Pas seulement. C'est surtout une histoire humaine entre deux adolescents désoeuvrés et réunis par le vide de leurs vies respectives dans une relation muette et platonique. La première partie du film en est le reflet le plus éloquent : au milieu du désert, sous un soleil qui engourdit tout, Samson et Delilah tentent de s'évader du train-train morose qui domine leur existence, sous la direction de Warwick Thornton, coiffé des casquettes de scénariste, réalisateur et directeur de la photographie, qui fait parler les visages et les décors plus sûrement qu'un mime. Une suite de tableaux enchanteurs et touchants qui, l'espace d'un plan oisif, vous plonge dans l'âme simple et généreuse des deux héros, jusqu'à l'évènement seuil, la profanation de la routine souveraine, qui mène à la deuxième partie.

Il serait injuste de mettre sur son dos tous les défauts de Samson & Delilah, mais la tentation est grande, car ils sont peu nombreux. Le film ne perd rien de sa puissance picturale, mais cède à la facilité et à la complaisance dès qu'il s'agit de traiter d'un sujet social. Passée outre la désagréable impression que la condition des aborigènes est une figure imposée dans tous les films australiens, on regrette que le réalisateur ressasse ses plans chocs dans une tentative maladroite et plutôt agressive d'apitoyer et/ou d'alarmer le spectateur. La caméra de Warwick Thornton est toujours aussi aiguisée, mais sa surenchère dans le pathos frise parfois le mauvais goût.

A défaut d'innover dans sa représentation d'un drame social, il se démarque dès son premier long-métrage par sa réalisation toute en pudeur et en retenue dès qu'il s'agit de filmer l'humain dans sa relation à l'autre ou face à sa propre amertume. La plus grande qualité de Samson & Delilah est de ne pas succomber à son alarmisme et de lui préférer un message d'espoir innocent, le baume au coeur.

Sentence : 3,5/5

dimanche 16 mai 2010

Ichi the Killer

Le goût du gore simple.

Titre original : Koroshiya 1
Réalisé par : Takashi Miike (2001)
Avec : Tadanobu Asano, Hiroyuki Tanaka
Durée : 129 min
Adapté du manga Koroshiya 1 d'Hideo Yamamoto

Un tueur mystérieux, davantage versé dans la boucherie sans nuance que dans l'assassinat silencieux, sévit dans les rangs de la mafia japonaise.






Parmi les grands pontes du cinéma underground japonais se trouve le bien nommé Takashi Miike, qui conjugue le cinéma d'horreur selon ses envies (selon ses pulsions, devrait-on dire), enchaînant film d'atmosphère subtil et étouffant (Audition, son moyen-métrage de Three... Extremes) et vaste exposition de tripaille décomplexée.

Incontestablement, Ichi the Killer, considéré comme une oeuvre majeure du cinéaste, fait partie de la deuxième catégorie. Il faut dire que le sujet se prête bien au genre : rares sont les films qui mettent en scène des yakuzas et ne colorent pas votre écran de rouge. Au programme : une vraie cour des miracles de la cruauté, où l'ultra-violence est normalisée et les comportements les plus pervers banalisés. Le film est basé sur la relation d'opposition très "mangaïsante" entre Ichi, l'anti-héros et assassin complexé qui a tendance à croire que découper les gens en petits morceaux c'est, quelque part, leur rendre service, et Kakihara (Impérial Tadanobu Asano), un chef de gang masochiste au charme vénéneux, excité comme une puce à l'idée de tomber entre les mains de son Némésis.

Derrière ce pitch maigre comme un clou se cachent deux (très) longues heures qui ne lésinent pas sur les litres de sang artificiel et valent essentiellement le détour pour le travail titanesque des maquilleurs et créateurs d'effets visuels, bluffants d'ingéniosité et d'efficacité.

Car on voit tout, dans Ichi the Killer. Takashi Miike se paye le luxe d'opérer quelques virages vers le torture-porn qui raviront les amateurs du genre. Les autres s'ennuieront 80% du temps devant un scénario brouillon qui avance à tâtons et se repose sur son univers décalé et son personnage principal, Kakihara, véritable colonne vertébrale du film. C'est dommage que Takashi Miike ait réservé toute son inventivité pour les scènes de torture (qui, pour le coup, sont inventives !) ; le reste du film aurait bénéficié de quelques bonnes idées, car ce ne sont pas les fiches psychanalytiques de supermarché des personnages qui vous sortiront de votre torpeur.


Sentence : 2/5

samedi 15 mai 2010

Cronos

La vie éternelle, c'est nul.

Ecrit & réalisé par : Guillermo Del Toro (1993)
Avec : Federico Luppi, Ron Perlman, Claudio Brook
Durée : 94 min

Au 16e siècle, un alchimiste découvre le secret de la vie éternelle. Quatre siècles plus tard, un antiquaire trouve un petit appareil en forme d'araignée, et l'utilise involontairement. Le lendemain, des rides ont disparu, ses traits sont plus tirés : il rajeunit, mais à quel prix ?





Récompensé par neuf Arieles (l'équivalent des Césars au Mexique), Cronos surprend par la maîtrise technique dont fait preuve Guillermo Del Toro, dont c'est le premier film, à défaut d'être audacieux. Dès le départ, le réalisateur mexicain, ex-créateur d'effets visuels, distille ses thèmes favoris dans cette variation du sempiternel thème du vampire - l'enfant confronté au fantastique, la superposition du surnaturel et du réel.

Deux thèmes qu'il met ici au service d'un des plus anciens fantasmes humains, la vie éternelle, plutôt que la transformation en vampire, terme qui n'est jamais mentionné dans le film. Evidemment, le spectateur n'est pas dupe, Guillermo non plus : le vieil antiquaire rajeunit, craint la lumière du jour et doit se nourrir de sang humain, il a donc tout du vampire sauf le nom.

Sujet passionnant et maintes fois abordé au cinéma, le thème de l'immortalité et du vampirisme en tant que malédiction requiert aussi finesse et maturité d'écriture, deux conditions qui ne sont malheureusement pas remplies par le cinéaste alors jeune. Scénario mécanique, mise en scène un peu plan-plan mais sublimée par une excellente gestion de la lumière, ses petits défauts de forme ne sont que pécadilles comparés à l'écriture, volontaire mais maladroite.

Le film repose sur des relations binaires, dont Jesus Gris (le protagoniste, impeccable Federico Luppi) est le pivot : complicité entre un grand-père et sa petite-fille, amour entre un mari et son épouse, opposition entre un moribond cherchant l'immortalité à tout prix et un homme simple qui en est la victime. Sujet qui rappelle farouchement Entretien avec un vampire (Neil Jordan, 1994), et qui mériterait deux bonnes heures à lui tout seul, mais que Guillermo Del Toro n'aborde qu'en surface, préférant consacrer l'autre moitié de Cronos à la relation entre Jesus et sa petite-fille Aurora, la seule qui soit au courant de sa condition. C'est dommage, car sur ce point, il ne convainc pas et tente, à grands renforts de violons larmoyants, de créer l'émotion. L'hubris, l'immortalité pour un vieillard fatigué de vivre ; ces deux thèmes bouillonnants ne sont que timidement effleurés, peut-être par manque de maturité. On ne retiendra de Cronos que ses bonnes intentions et son scénario série B assez prenant.


Sentence : 2,5/5

jeudi 13 mai 2010

Âmes en stock

Et si l'âme était un organe ?

Titre original : Cold Souls
Ecrit & réalisé par : Sophie Barthes
Avec : Paul Giamatti, Dina Korzun, Emily Watson
Durée : 101 min

Paul Giamatti, célèbre acteur américain, traîne son âme derrière lui comme un boulet, un réservoir à doutes qui l'empêche de jouer Oncle Vania correctement au théâtre. Désespéré, il fait appel à une société de "stockage d'âmes" pour regagner sa confiance en lui, et découvre l'expérience troublante de vivre sans âme.






Le surréalisme est un genre peu représenté au cinéma américain - Michel Gondry, Charlie Kaufman et Spike Jonze en sont peut-être les seuls visages, et passer derrière eux avec un projet comme Âmes en stock signifie s'exposer à une inévitable comparaison. Sophie Barthès, dont c'est le premier long-métrage, s'en sort plutôt bien, mais passe à côté de son sujet. Le postulat de départ est prétexte à taquiner une question essentielle du cinéma : la recherche de son identité, le désir d'être un autre lorsqu'on est un acteur. Le problème, c'est justement qu'elle ne fait que taquiner la question et reste en surface le reste du temps dans un film qui ne se révèle être qu'une comédie dramatique légère, reposant sur le numéro de cabotinage de Paul Giamatti.

C'est d'autant plus dommage que le début fait beaucoup de promesses, avant de balayer la plupart d'entre elles d'un revers de main pendant la seconde partie du film, qui opère un virage inattendu et maladroit vers le thriller. Il faut croire que Sophie Barthès n'avait pas les mêmes espoirs que nous, et a préféré exploiter son idée et son univers absurde pour les mettre au service d'une vaste allégorie sur l'âme humaine. C'est son choix, mais c'est aussi moins intéressant. En fait, la force d'Âmes en stock est aussi sa faiblesse : l'axiome de départ aurait pu n'être qu'un voile posé sur un joyau, mais sous nos yeux impuissants, elle préfère broder, ajouter des motifs et ne jamais découvrir l'essentiel. On perd tout espoir devant la seconde moitié du film et la direction que prend le scénario : Paul Giamatti et Sophie Barthès s'égarent, l'un devenant un bouffon un peu terne, l'autre s'essayant sans convaincre à un genre qu'elle ne maîtrise pas. Pourtant, lorsque le film tient ses promesses, il le fait avec beaucoup d'élégance, mais la déception n'en est que plus grande. On sort en regrettant de n'avoir passé qu'un bon moment.


Sentence : 3/5

mercredi 12 mai 2010

Dark World

Trop inspiré ou pas assez ? Les deux, mon capitaine.

Titre original : Franklyn
Ecrit & réalisé par : Gerald McMorrow
Avec : Eva Green, Ryan Phillippe, Sam Riley
Durée : 97 min

Une histoire de destins croisés. John Preest (Ryan Phillippe) est un justicier hors-la-loi à la recherche de son pire ennemi dans une ville futuriste régie d'une main de fer par un clergé-militaire. Parallèlement, de nos jours à Londres, Milo (Sam Riley) tente de retrouver son premier amour ; Emily (Eva Green) pousse ses projets artistiques suicidaires de plus en plus loin, et Esser (Bernard Hill) cherche son fils parmi les mendiants des bas-fonds londoniens. Quatre vies attirées par une même fin.






Reconnaissons à Gerald McMorrow une qualité : il est cinéphile. C'est d'ailleurs son seul point commun avec les nombreux cinéastes dont il s'inspire, ou plutôt devrait-on dire dont il pompe le travail. Un soir, il s'est installé dans sa cuisine et s'est posé une question : quels ingrédients mettre dans la tambouille Dark World ? Alors il a ressorti ses vieux films préférés, et s'est dit "tous ces grands classiques dans une seule et même casserole, cela doit donner un fameux résultat". Certainement, a-t-on envie de lui répondre, mais c'est un plat un peu indigeste. Un peu de Watchmen par-ci (un justicier masqué hors-la-loi, violent et philosophant), un peu de Dark City par-là (les choix esthétiques de Meanwhile City, de toute évidence), une mise en scène qui emprunte à Zack Snyder (recherche obsédée de la beauté plastique) et un scénario qui se veut l'égal d'un Inarritu (Babel, 21 grammes) ; tout cela, entre les mains de quelqu'un d'autre aurait pu donner un résultat autrement plus intriguant et intéressant que l'infâme bouillabaisse de McMorrow, qui prend son sujet très au sérieux.
Car on ne rigole pas dans Dark World. Sachez-le, c'est un film sérieux. Pourtant, il est souvent difficile de retenir un gloussement railleur devant les performances boursouflées des acteurs, qui semblent tous avoir un paquet de cigarettes coincé dans la gorge. Seul Bernard Hill trouve le bon ton, sobre et presque émouvant.

Heureusement (malheureusement ?), ce sourire narquois ne tarde pas à s'effacer devant l'insupportable vérité : il ne se passe rien dans ce film. Des dialogues creux, des platitudes badass, une relation conflictuelle - oh, une baston !- encore des platitudes et plus de dialogues creux. Gerald McMorrow ne sait pas comment assaisonner son scénario et patauge dans un marasme narratif dont il ne sort qu'au bout d'1h30 (dommage, le film dure 1h40). Avant cela, on peine à saisir les enjeux de chaque histoire, qui n'ont aucune relation entre elles, jusqu'au twist final, plutôt élégant mais sali par une fin qui laisse un goût atroce et sirupeux en bouche, comme un mauvais médicament contre la toux. Nous ne nous attarderons pas sur la tentative pompière de stigmatisation de la religion, qui n'a pour seul effet que le retour du sourire moqueur sur le visage assoupi du spectateur. Aussi prétentieux et vide de sens que le numéro du personnage d'Eva Green.

Sentence : 1,5/5





mardi 11 mai 2010

Breathless

Vous avez dit "coup de poing" ?

Titre original : Ddongpari
Ecrit & réalisé par : Ik-june Yang
Avec : Ik-june Yang, Kkobbi Kim, Hwan Lee
Durée : 130 min

Sang-hoon est un voyou excessivement violent qui met toute sa rage dans son "métier" de recouvreur de dettes pour le compte de son ami Man-sik. Toute sa vie est jalonnée de coups de poings et d'insultes, à tel point qu'il ne sait plus exprimer autrement ses sentiments.

Un jour il croise Yeon-hee, une lycéenne dont l'histoire familiale ressemble étrangement à la sienne. Ensemble, ils tentent de s'échapper d'un monde rongé par la haine et la rancune et de recoller les morceaux de leurs vies éclatées.






Le regard fuyant et le gnon facile, Sang-hoon est une boule de rage à peine contenue qui pense, respire, vit dans et par la violence. Il ne dit pas bonjour ; il donne une tape sur la tête et il injurie plus facilement qu'il ne sourit. Mais il n'est pas le seul à être ainsi : cette descente dans la misère sociale sud-coréenne révèle un monde régi par la violence quotidienne. Cela ne s'arrête presque jamais, c'est éprouvant, fatiguant ; on n'a pas le temps de respirer.

Les rares moments d'affection sont autant d'accalmies inespérées dans un ciel perpétuellement orageux. Caméra au poing, nerveuse mais pas trop, Ik-june Sang capte le ton juste, l'instant de sincérité dans un scénario impitoyable et tranchant comme une lame de rasoir, qui démolit la figure paternelle et déconstruit la cellule familiale avec une sensibilité à fleur de peau, étouffante.

Au coeur du drame, Ik-june Sang resplendit, lui qui a écrit, réalisé, produit, monté et interprété son film en marge de l'industrie sud-coréenne. Vingt-trois jours seulement pour écrire le scénario, a-t-il déclaré. On le croit volontiers ; il faut s'être lancé à corps perdu dans l'écriture pour avoir mis au monde ce récit viscéral, qui frappe par son intelligence et son humanité. Sang-hoon, cet anti-héros, ce bourreau, ce malfrat sans scrupule ni remords, est la personnalité la plus touchante de ce début d'année au cinéma.

Film social certes, mais jamais complaisant ni démagogue. Les personnages sont aussi cohérents qu'une feuille de calcul et, au détour d'une insulte ou d'un coup de pied (souvent les deux à la fois), nous jettent leur humanité à la figure avec la douceur qui les caractérise. Car dans cet univers inhumain, ils sont tous des êtres humains, avec leurs failles, leur passé, leur avenir.

Qu'importe que la haine balaie tout sur son passage comme une marée furieuse ; la peur de la mort, l'appel du sang familial sont des rocs au milieu de la tempête, contre lesquels le spectateur est projeté en même temps que les personnages, dans une vague de tendresse et d'authenticité qui vous écrase et vous bouleverse. Entre deux baffes, on pleure. Entre deux pleurs, on admire. Et dire que c'est un premier long-métrage.


Sentence : 5/5

dimanche 9 mai 2010

Enter the Void

La mort, quel pied.

Ecrit & réalisé par : Gaspar Noé
Avec : Nathaniel Brown, Paz de la Huerta
Durée : 150 min

Oscar et sa soeur Linda habitent à Tokyo. L'un deal de la drogue, l'autre est strip-teaseuse dans un club privé. Quand Oscar est tué par des policiers, son esprit reste fidèle à la promesse qu'il avait faite à sa soeur de ne jamais la quitter quoi qu'il arrive et parcourt les bas-fonds tokyoïtes dans un tourbillon fantasmagorique où s'entrecroisent passé, présent et futur.





Qui eut cru que Gaspar Noé se révèlerait être un joyeux lutin facétieux ? On le sait fasciné par toutes sortes de sujets morbides, qu'il aime représenter en caméra subjective au cinéma (souvenez-vous de Seul contre tous et des monologues intérieurs de son boucher). C'est d'ailleurs chic de sa part de ne pas nous inclure, nous spectateurs innocents et purs, dans ses trips dérangés et dérangeants. Difficile de ne pas voir dans le titre du film une chiquenaude vindicative envoyée aux mentons des nombreux critiques qui reprochaient à Gaspar Noé la vacuité de son cinéma.

Mais c'est qu'il persiste et signe, le vilain bougre !
Ne soyons pas mauvaises langues, ni de mauvaise foi, et rendons à Gaspar ce qui est Gaspar, qui revendique le droit de faire d'un film une expérience sensorielle, façon "Chéri j'ai coincé le public dans un flipper". Noble cause, qui justifie l'absence de propos avec une souplesse narquoise, et donne un fameux résultat technique : ce n'est pas un film, c'est une chose, un léviathan hallucinatoire qui nous agrippe avec bruit et fureur dès le générique pour ne plus nous lâcher pendant 2h30. "2h30 ?!" me criez-vous avec horreur. "2h30" vous répondrai-je avec un flegme guerrier. Car visionner Enter the Void est une bataille : on se l'inflige, on lutte, on aimerait bien perdre le combat et se laisser malmener.
Mais après 1h30 d'un pugilat psychédélique, la bête fatigue et commence à remâcher ses gimmicks visuels. Pire : serait-ce un fond que j'aperçois au loin au milieu du vide ? Qu'est-ce donc que ce vide blasphématoire qui se pique d'avoir un fond ?

Parce que voyez-vous, Oscar n'a jamais vraiment digéré la mort de ses deux parents : il fume des joints parce que la tétée lui manque, il se tape des quadras parce qu'il est frustré de n'avoir jamais pu vivre son Oedipe, et post-mortem, il se rend compte que quand même, le monde est moche, les gens sont méchants, c'était mieux quand il était petit, auprès du sein maternel protecteur et nourricier.

La caméra vertigineuse, les directeurs son et photo de génie, la plongée libidineuse dans ce tokyo-baisodrome dont le paroxysme est atteint avec un plan intra-vaginal et projection de sperme numérique (on vous l'a dit, Gaspar Noé innove) ne sont qu'autant d'arbustes qui cachent péniblement une forêt très niaise et pleine de creux. Enter the Void, tu l'as dit !


Sentence : 1/5

samedi 8 mai 2010

Defendor

Pas tueur né, juste benêt.

Ecrit & réalisé par : Peter Stebbings
Avec : Woody Harrelson, Kat Dennings, Elias Koteas
Durée : 101 min

Arthur Poppington est un simple d'esprit convaincu d'être un super-héros. La nuit (et parfois le jour...) il devient Defendor et combat le crime, avec plus ou moins d'efficacité. Son but : traquer et dénicher un Némésis qu'il s'est inventé, Captain Industry.






Sorti dans une salle à Los Angeles, directement en DVD partout ailleurs, c'est finalement une bonne chose que Defendor se soit fait discret, tant il aurait souffert de la comparaison avec Kick-Ass. Le principe du film rappelle furieusement le comic-book de Mark Millar : un homme simple (en l'occurrence carrément simplet), sans pouvoir, se met en tête de combattre le crime.

L'idée, plutôt séduisante, montre toutefois très vite ses limites, et sombre dans la facilité. Car oui, c'est facile de faire rire avec un simplet qui joue aux super-héros. C'est facile de s'attacher à un benêt honnête et généreux. C'est facile d'écrire l'histoire de Defendor.

Il y a deux choses à savoir sur les super-héros :
-Ils sont à la mode. Ca, Peter Stebbings l'a compris. Nous aussi d'ailleurs.
-Il faut renouveler le genre. Ca, Peter Stebbings pensait l'avoir compris, mais en réalité, il ne trompe personne.
Car il ne suffit pas de sortir un Forrest Gump justicier pour faire un film original. L'écriture des personnages est grossière et déjà vue mille fois : Arthur Poppington a été élevé par son grand-père (pas de figure parentale solide = un personnage qui ne grandit pas), et la jeune prostituée qui devient son amie (son amante ?) est une jeune fille paumée qui entretient une relation conflictuelle avec son père et trouve du réconfort auprès d'Arthur, le seul à faire preuve de gentillesse à son égard. Gnan-gnan-gnan.

En fait, Defendor s'essouffle avant même d'être parti : les gags ne se renouvellent pas, le protagoniste est très limité (dans tous les sens du terme), les enjeux sont inexistants et les situations prévisibles. Le film de Peter Stebbings est une bouillie moralisatrice. Et de la bouillie super-héroïque, c'est toujours de la bouillie.


Sentence : 1,5/5

vendredi 7 mai 2010

Dans ses yeux

Le miroir de l'âme.

Titre original : El Secreto de sus Ojos
Réalisé par : Juan José Campanella
Avec : Soledad Villamil, Ricardo Darin, Pablo Rago
Durée : 129 min
Adapté de : La Pregunta de sus Ojos d'Eduardo Sacheri

Benjamin Esposito, greffier à la retraite, décide d'écrire un roman sur une affaire de meurtre dans laquelle il s'est beaucoup investi, en 1974. Ce procédé le replonge dans cette histoire sordide, dont il n'a jamais connu le mot de la fin, et dans l'amour qu'il portait alors à sa collègue de travail.





Dans ses yeux est la preuve qu'avec un scénario, des personnages et une réalisation solides, une histoire classique peut encore surprendre et tenir en haleine de bout en bout le spectateur blasé.

Rien d'étonnant à ce que ce long-métrage argentin ait été préféré à notre Prophète national à la cérémonie des oscars : sa construction se rapproche bien plus des canons du cinéma américain que le film de Jacques Audiard, plus tranchant et personnel.

Au coeur de l'histoire, le vide. Le vide dans la vie d'un homme après que sa femme a été tuée, le vide dans les vies du héros et de son acolyte qui les pousse à s'investir corps et âme dans l'enquête, le vide enfin pour l'assassin plutôt que la mort.

Dans ses yeux est aussi un film hybride, alternant comédie romantique et enquête policière avec une fluidité insolente. Une question vient à l'esprit tandis qu'on regarde le film : qui donc est l'auteur de ce scénario, d'une grâce et d'une subtilité magistrales, de ce canevas savamment orchestré qui tantôt nous fait sourire et tantôt nous étouffe ? On est presque déçu, en guettant le générique, de découvrir que c'est une adaptation de roman. On eut préféré qu'il fût une perle découverte dans l'océan du 7e art.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Pour enrober ce bijou d'écriture, aucun risque n'a été pris, et l'on a choisi un bon vieux coffre-fort de mise en scène efficace, solide, pas bien téméraire et un peu impersonnel, mais qui fait son boulot. Et le scénariste prend tellement de plaisir à écrire, au moins autant que nous à l'écouter, qu'il ne sait pas quand s'arrêter : sa plume grossit, il s'égare et ne voit pas qu'il aurait dû s'arrêter quelques minutes plus tôt. Qu'importe ; on peut bien lui pardonner sa fin à rallonge et d'assez mauvais goût, tant il a su nous charmer pendant 1h50. Dans ses yeux est là pour nous rappeler que le cinéma est avant tout conteur d'histoire.


Sentence : 4/5

mercredi 5 mai 2010

Greenberg

Greenberg-gen, la bière des quadras (haha)

Réalisé par : Noah Baumbach
Avec : Ben Stiller, Greta Gerwig, Rhys Ifans
Durée : 105 minutes

Roger Greenberg, 41 ans, psychologiquement instable, décide de mener une vie oisive après que tous ses projets à New York ont échoué. Lorsque son frère part en vacances avec toute sa famille, il lui confie la vaste demeure familiale. C'est là qu'il fait la connaissance de Florence, la "bonne" de la maison, 28 ans, qui rêve d'être chanteuse, mais ne fait qu'enchaîner les dépits amoureux et professionnels. Début d'une relation aussi étrange qu'inattendue.





Méfiez-vous de Greenberg !

Un regard un peu rapide sur l'affiche pourrait vous induire en erreur, car vous n'y verriez que la trogne drolatique de Ben Stiller. Association d'idées normale : Ben Stiller = comédie américaine, généralement pas finaude. Et puis là, quelque chose vous étonne. Vos Gaumont et Pâté préférés (je revendique le droit à cette orthographe) ne passent pas Greenberg : pour le voir, il faut aller dans un cinéma d'art et d'essais. Intrigué, vous regardez le synopsis et le casting de plus près, et vous vous apercevez que le réalisateur du film n'est autre que Noah Baumbach, connu pour avoir écrit Fantastic Mr Fox et La vie aquatique, plus encore pour avoir dirigé Les Berkman se séparent.

Car non, ceci n'est pas une comédie populaire. On ne s'esclaffe pas devant Greenberg, on sourit, tout au plus rit-on avec sobriété. Mais la plupart du temps, on est touché.

Les personnages du film reflètent une réalité trop souvent gommée dans les salles de cinéma : Roger Greenberg est un quadragénaire misanthrope, bourré de tocs, qui déverse sa frustration en écrivant des lettres de plainte mesquines à de grandes compagnies, Florence est une jeune femme un peu paumée qui semble avoir vieilli trop vite, le meilleur ami de Roger est un guitariste désoeuvré qui sort de désintox et tente de sauver son couple et son entreprise de réparation d'ordinateurs. Une bien triste vision du monde, qui refuse l'idéal : le frère aîné de Roger et sa famille, modèle d'équilibre et de réussite sociale, sont constamment éloignés de l'action (ils sont au Viêt-Nam) et n'apparaissent jamais à l'écran.

La famille est donc dépeinte de façon très cynique : la relation amoureuse entre les deux héros ressemble à un puzzle monté à l'envers et, au milieu de ce couple saugrenu, l'élément tisseur de liens sentimentaux n'est pas un enfant (comme on a l'habitude de le voir dans ce genre d'histoire), mais un gros chien. La brave bête est d'ailleurs gravement malade, ce qui va obliger Roger à prendre ses responsabilités en tant qu'adulte. On est donc pas loin de la caricature sardonique du traditionnel parcours initiatique d'un personnage qui a raté le cours d'"Apprentissage de la vie" étant jeune, et qui doit maintenant rattraper le temps perdu.

Le scénario se révèle très fin, parsemé de délicieuses petites touches d'humour qui ne sont jamais gratuites, mais toujours au service de l'histoire. Malheureusement, il est aussi très bavard, un défaut que l'on oublie volontiers à la fin du film, mais qui, dans la salle, est parfois agaçant.

On est donc bien content que le dernier film avec Ben Stiller ne soit pas une comédie potache au pop-corn, mais plutôt un drame au bonbon acidulé, intelligent dans son montage et son écriture, mais aussi plus audacieux et profond qu'il n'y paraît. Noah Baumbach est Guillaume Tell ; votre coeur est une pomme.


Sentence : 4/5

lundi 3 mai 2010

Irréversible

"Le temps détruit tout" - Un beauf dans un motel.

Ecrit & réalisé par : Gaspar Noé (2001)
Avec : Vincent Cassel, Albert Dupontel, Monica Belluci
Durée : 93 minutes

Le voilà, le mastodonte provocateur de Gaspar Noé qui l'a propulsé sur la scène internationale, et qui le poursuit encore dans toutes ses interviews. Chef d'oeuvre du 7e art pour certains, imposteur nauséabond pour d'autres, Irréversible a quoi qu'il en soit été un tournant dans le monde du cinéma, en posant la question de la monstration de l'extrême violence au service du propos du réalisateur.

Convaincu que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures, Gaspar Noé filme une histoire de vengeance qui tourne à l'obsession malsaine : après qu'Alex (Monica Belluci) a été violée dans un tunnel par un inconnu, son compagnon Marcus (Vincent Cassel) et son ex-petit ami Pierre (Albert Dupontel) décident de faire justice eux-mêmes.






Si Irréversible n'avait été qu'un film ultra-violent, sa renommée n'aurait pas été mondiale. Tout au plus aurait-on apprécié l'audace du réalisateur, tout en regrettant la gratuité du geste. En toute objectivité, on peut considérer qu'Irréversible est un vaste exercice de style, proche de la virtuosité.

Car, en dehors de toute observation du fond, le film est un véritable objet cinéphilique, jamais vu auparavant et donc digne d'attention.

L'ensemble du long-métrage est découpé en six plans-séquences complexes et en mouvement (à part la scène du viol, en caméra fixe), dans une narration à rebours. Outre l'exploit technique que cela représente, on appréciera une vraie capacité à faire monter la tension durant la première moitié du film, composée des scènes "violentes"

Irréversible pivote en effet autour de la fameuse scène de viol, située précisément à la moitié de la bobine. Avant et après cette scène, les comportements des personnages et le ton du film changent radicalement. Le problème, c'est que la qualité aussi.
Si l'on doit reconnaître un certain talent à Gaspar Noé pour filmer la brutalité et les plus bas instincts de l'humanité, ce n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de sentiments et de complicité. La deuxième partie du film se perd en effet dans des scènes ennuyeuses et digressions tarantinesques. Dans tous les cas, Gaspar Noé ne parvient pas à créer l'émotion.

Mais ce sont les moyens utilisés par le réalisateur qui sont le plus répréhensibles. On l'a compris, Gaspar Noé a choisi de jouer la carte de la provocation pour arriver à ses fins. Le film rappelle d'ailleurs Orange Mécanique, par sa violence et son message.
Seulement voilà : si la mise en scène est particulièrement inspirée, le scénario ne l'est pas du tout. On peut faire les mêmes reproches à Irréversible que ceux faits à La Passion du Christ : les scènes violentes du film sombrent rapidement dans la provocation gratuite et, disons-le, franchement malsaine. On peut légitimement se poser la question : aussi bien réalisée soit-elle, la scène d'introduction mérite-t-elle d'être aussi longue ? De même, la scène de viol sert-elle le propos du film ? Si quelqu'un réalise un film sur un pédophile, est-il nécessaire de filmer en détail l'agression sexuelle des enfants ?

La réponse est bien sûr non. Montrer les choses permet de créer un malaise physique sur le moment, en plus du malaise moral, mais n'intensifie jamais la portée tragique d'un geste. Sans compter que la suggestion est un outil nettement plus élégant, et tout aussi efficace (voire plus) dans le cadre de la narration.

D'un point de vue qualitatif, il faut donc bien séparer la forme du fond d' Irréversible : Gaspar Noé manie la caméra comme un maître, et les acteurs sont impressionnants. Mais sur le fond, c'est creux, dégueulasse et gratuit. Un peu comme une cuvette de toilettes sertie de diamants, mais qui n'a pas été nettoyée depuis des mois, par pur goût de la provocation. A voir malgré tout, pour qui s'intéresse au cinéma.


Sentence : 1/5

dimanche 2 mai 2010

Mammuth

Que se passerait-il si Obélix allait à la retraite ?

Réalisé par : Benoît Delépine & Gustave Kervern
Avec : Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Isabelle Adjani
Durée : 92 min

Serge Pilardosse est un homme gros, maladroit et pas très malin, qui a atteint l'âge de la retraite. Seulement, pour quelqu'un qui travaille depuis qu'il a 16 ans, sans jamais avoir été au chômage, la retraite sonne plus comme un glas que comme un gong salvateur. Pour réparer une bévue sociale, il enfourche sa vieille Mammuth et part à la recherche de ses anciens employeurs. Il n'y retrouvera que le goût de vivre.






Mammuth, sous ses airs de film contestataire sans prétention, raconte beaucoup de choses : la faillite d'un système, qui oblige un retraité à reprendre la route pour toucher sa retraite, le goût de la vie perdu puis retrouvé, une ode à la liberté et pour finir, une dénonciation de l'absurdité du monde.

Et le pire, c'est que tout cela, Kervern et Delépine auraient pu le raconter en moitié moins de temps.

Gérard Depardieu est l'atout maître de cette comédie dramatique grinçante : avec son allure de Wrestler à la française (un personnage désoeuvré, une longue tignasse blonde défraîchie), Serge Pilardosse est un monolithe de tendresse crue, resplendissant sous les traits de Depardieu.

La mise en scène emprunte d'ailleurs beaucoup à Aronofsky : caméra fixe ou à l'épaule, filmant le dos du protagoniste, tour-à-tour au plus près des visages ou en plans très larges ; tout est fait pour souligner le dénuement de Mammuth (son surnom) dans ce monde qui le dépasse.

Mammuth est un film très intelligent, dans son écriture, sa mise en scène et ses idées, mais il est aussi très paresseux. Il aurait fait un excellent moyen-métrage d'une quarantaine de minutes, mais le milieu du cinéma et les ambitions des réalisateurs étant ce qu'elles sont, on s'est mis en tête d'étirer ce canevas prometteur, comme un enfant déformerait ses jouets pour les rendre plus grands.

Kervern et Delépine grillent en effet toutes leurs cartouches dans la première moitié du film, et produisent des saynètes et des sous-intrigues (celle de Yolande Moreau notamment)dont l'utilité scénaristique est discutable, dans le seul but de rallonger la bobine. Le film perd alors en densité et en intensité, et se pique de prétentions philosophiques qui lui vont plutôt mal.

En choisissant de miser le gros (sans jeu de mot) de leur histoire sur le personnage de Serge Pilardosse, et donc sur Gérard Depardieu, Kervern et Delépine ont fait le meilleur choix stratégique du film : avec sa bonhomie ventripotente, le protagoniste est un phare au milieu d'un océan d'imbécillité, qui fait rire, pleurer, et surtout, réfléchir.


Sentence : 3/5