mardi 27 avril 2010

Dans Paris

Lieu prédestiné de la nouvelle Nouvelle vague.

Ecrit & réalisé par : Christophe Honoré (2006)
Avec : Romain Duris, Louis Garrel, Joanna Preiss
Durée : 92 minutes

Récompensé à la Quinzaine des Réalisateurs, Dans Paris raconte comment Paul (Romain Duris), après une difficile séparation avec Anna (Joanna Preiss), va chercher du réconfort auprès de son père (Guy Marchand) et de son jeune frère Jonathan (Louis Garrel), qui vont tenter de remonter le moral de leur proche dépressif.






Hommage proclamé au cinéma de la Nouvelle Vague, Christophe Honoré allie, une fois de plus, légèreté de ton et gravité des situations. Dans Les Chansons d'Amour, il avait su tirer le meilleur de cette association, mais flirtait souvent avec une superficialité énervante.
Et bien là, il ne flirte plus, il emballe, fait l'amour à cette superficialité.

Passé les vingt premières minutes très pénibles, où le réalisateur s'écoute parler et les acteurs se regardent jouer, on rentre dans le sujet du film, c'est-à-dire la dépression d'un frère/fils et le rôle secourable de la famille. On peut d'ailleurs remettre en question l'utilité de cette fâcheuse première partie, qui montre l'éclatement du couple Romain Duris/Joanna Preiss.
Heureusement, la suite du film le sauve du naufrage complet, en racontant la "guérison" de Paul avec la pudeur et l'intelligence qui caractérisent Christophe Honoré. On regrettera tout de même le personnage de Louis Garrel, toujours à l'aise dans son numéro de cabotin superficiel, mais on eut apprécié un peu de nuance.

Ce n'est donc pas tellement dans l'écriture que le bât blesse, mais plutôt dans la réalisation. Le cinéma de Christophe Honoré se révèle être très B.C.B.G., et son impertinence sonne comme une faute d'accord. La mise en scène désinvolte tranche avec le scénario, et enrobe de papier transparent une bombe à retardement : à cause de cela, on a jamais vraiment l'impression de traiter le sujet, et les échappées sentimentales de Jonathan dans Paris n'arrangent rien. Certes, il est le personnage rafraîchissant du film, sans lequel Dans Paris ne serait peut-être qu'un drame pesant ; malheureusement son rôle et ses actions sont redondantes et, disons la vérité, on se contrefiche de savoir ce qu'il fait. Tout juste se contente-t-on de sourire à son apparition, avant de laisser échapper un gros soupir.

La mise en scène et l'écriture sont un peu les deux mariés du cinéma. En l'occurrence, quelque chose choque dans cette cérémonie : la mariée est charmante et élégante, mais son époux est un dandy impertinent et content de lui. Dommage : Dans Paris agace plus qu'il ne séduit.


Sentence : 2/5

lundi 26 avril 2010

7h58 ce samedi-là

L'enfer, c'est la famille.

Titre original : Before the Devil Knows You Are Dead
Réalisé par : Sidney Lumet (2006)
Avec : Philip Seymour Hoffman, Ethan Hawke, Albert Finney
Durée : 116 minutes

Dernier film en date du mythique, inoxydable Sidney Lumet, 7h58 ce samedi-là (traduction française assez énigmatique) est un thriller d'un genre un peu particulier, puisqu'il s'agit aussi (surtout) d'un drame familial.

Deux frères (Ethan Hawke et Philip Seymour Hoffman) décident de braquer la bijouterie de leurs parents. Mais tout ne se déroule pas comme prévu : c'est le début d'une crise familiale et humaine aux conséquences irréversibles.






Il est de ces films qui frappent par leur justesse de ton, leur élégance et leur intelligence. Injustement boudé par le public à sa sortie en salles, 7h58... est d'abord un thriller très bien huilé, mais aussi un drame superbement écrit.

Le mode de narration fait d'abord penser au Memento de Christopher Nolan, mais on se rend vite compte que le récit ne se fait pas seulement à rebours, mais de façon chaotique, décousue.

C'est dans un contexte très réaliste de misère social d'un côté et de désillusion de l'autre que Sidney Lumet filme, avec beaucoup de retenue et de maîtrise, la lente descente aux enfers de deux frères (Ethan Hawke et Philip S. Hoffman, tous deux impressionnants) qui perdent le contrôle de leur vie.

La partie thriller n'est pas le véritable sujet du film. 7h58... raconte surtout la dislocation de la cellule familiale, que les canons du genre tendent à représenter comme l'ultime refuge. Ici, Sidney Lumet déconstruit méthodiquement ce mythe avec un cynisme certain que ne bouderaient pas les prêtres du politiquement incorrect.

Les liens familiaux apparaissent en effet corrompus, dans un dédale de non-dits et de secrets coupables. Les personnages, qui disposent tous d'une psychologie complexe et approfondie, tentent de sauver comme ils peuvent les meubles de leur univers familial qui s'effondre petit à petit autour d'eux, mais ne récoltent que le fruit de leur impuissance ; les situations ne font qu'empirer, jusqu'au dénouement tragique et délicieusement ambigu, voire subversif.

Le scénario fait d'ailleurs preuve d'une intelligence rare : tous les personnages du film sont pris dans un gigantesque tourbillon, au centre duquel se trouve la vérité. Les évènements s'imbriquent avec une fluidité remarquable, dans un récit pourtant complètement destructuré.

Et parlons-en de ce récit, que le montage a rendu tortueux au possible. En montant son histoire de façon éclatée, Lumet opère une adéquation parfaite entre la forme et le fond, puisque la dislocation du récit reflète la lente désintégration du cocon familial.

7h58... est donc plus qu'un simple thriller, qu'un simple drame ; c'est un gigantesque pavé lancé dans la mare des convenance et des canons du genre. Le genre de film qui se distingue de ses contemporains dès les premières minutes grâce à la finesse de son écriture et de sa mise en scène. On aimerait rencontrer plus souvent un cinéma de cette trempe.


Sentence : 4,5/5

vendredi 23 avril 2010

Massacre à la tronçonneuse [Remake]

Vous en reprendrez bien un petit bout ?

Titre original : The Texas Chainsaw Massacre
Réalisé par : Marcus Nispel (2003)
Avec : Jessica Biel, Eric Balfour, Jonathan Tucker
Durée : 118 minutes

Massacre à la tronçonneuse est le premier d'une longue suite de remakes du cinéma d'horreur, et signale un retour au slasher sérieux après le très bouffon Scream. Quoi de mieux pour se remettre dans le bain de sang que le mythique, horrifique, arrache-tripes Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper ?

Le pitch est simple : une bande de jeunes est méthodiquement tronçonnée par un gros tueur complexé et sa famille charmante, mais un peu marginale.






L'humanité le sait : quand on copie une oeuvre d'art, on s'incline devant l'original en lui laissant le piédestal de la grandeur. Regardez la tour Eiffel, ou la Statue de la Liberté : les quelques copies éparses dans le monde sont nettement plus petites et moins majestueuses que les originales.

Et bien au cinéma, ce n'est pas pareil. Le remake se doit d'être en compétition avec l'original pour susciter quelque intérêt. Malheureusement, comme chacun sait, dans ce domaine, ce sont souvent les ancêtres qui remportent la palme du meilleur film. Ce remake-ci ne fait pas exception.

Déjà, observons la bête. C'est un slasher d'1h58 (pour ceux qui ne sont pas familiers avec le terme, on appelle slasher un film qui met en scène un tueur, généralement à l'arme blanche, et des victimes en grand nombre). L'original ne tablait que sur 1h20 pour nous horrifier. Or, s'il y a bien un genre qui ne tient pas la distance, c'est le slasher. Aussi distrayant soit-il, ce sous-genre, s'essouffle très vite. Regardez Usain Bolt : après un 100m, il est épuisé. Alors on va pas lui demander de faire un marathon. Avant même de visionner ce remake, on sait donc déjà qu'il est trop long. D'ailleurs ça ne rate pas : beaucoup de scènes s'étirent inutilement, comme pour le plaisir de rallonger la bobine ; forcément, au bout d'une heure à contempler de la tripaille, on commence à s'ennuyer.

Le film démarrait pourtant bien : les scénaristes et le réalisateur jouent avec le spectateur averti (qui connaît l'original) et le taquinent avec des éléments de Massacre... premier du nom. Quelques changements scénaristiques pas idiots, des personnages un peu plus intéressants : on sourit, on se met à l'aise, et on se prépare à passer une soirée agréable.

Et puis les premiers défauts font leur apparition. C'est long, et les gros plans sur le gracieux popotin de Jessica Biel (l'argument concupiscent du film) peinent à nous sortir d'un ennui qui s'installe aussi confortablement que nous.

On rentre enfin dans le vif du sujet. Et là ça ne va plus du tout. Une hausse du budget pour ce genre de projet n'est jamais une bonne chose : là où l'original distillait un climat de crasse morbide, au milieu d'une esthétique fascinante et inquiétante, le remake ne sort qu'une saleté de publicité, facile et, paradoxalement, trop propre à l'image.

On déplorera de plus certains ajouts scénaristiques d'assez mauvais goût, qui semblent être des ajouts de producteurs pour plaire au plus grand nombre. C'est très malheureux, surtout quand on a en tête l'intégrité dans la folie et l'horreur de l'original, qui ose et se contrefiche du politiquement correct.

Pourtant, au milieu de ce tourbillon de contresens, de fautes de goût et de gaucheries, une lumière (sans jeu de mots) surgit : la direction photo, exemplaire à tous les égards et pendant tout le film, est une vraie claque visuelle (surtout les plans en extérieur). Alors bien sûr, on regrette le côté cheap et crade de l'original, mais il n'empêche, techniquement, le film est juste superbe.

Une fois n'est pas coutume, ce remake n'est qu'une pâle copie de son illustre prédécesseur, qui nous avait emmenés dans la folie, la vraie, tout en sobriété et en maîtrise. Ce Texas Chainsaw Massacre est parfois mou, parfois agaçant, parfois magnifique, mais jamais intéressant. Concrètement, il n'apporte rien au genre.


Sentence : 1,5/5

jeudi 22 avril 2010

La Comtesse

Rien ne sert de vieillir, il faut saigner à point.

Titre original : The Countess
Ecrit & réalisé par : Julie Delpy
Avec : Julie Delpy, Daniel Brühl, William Hurt
Durée : 94 minutes


Pour son troisième long-métrage, Julie Delpy plonge dans le Moyen-Âge hongrois et l'histoire sinistre d'Elizabeth Bathory, tristement célèbre pour sa sale manie de prendre des bains de sang de vierge dans le fol espoir de rester jeune. Les rares fois où la comtesse sanglante était personnifiée dans le 7e art, c'était en tant qu'improbable épouse de Dracula (et oui, l'un aime empaler, l'autre aime saigner de jeunes vierges ; en plus ils vivent dans la même région, à peu près à la même époque. Comment résister à la tentation de leur mariage outre-tombe ?).
En l'occurrence, le côté série B, certes amusant, mais un peu fantaisiste, est délaissé par Julie Delpy, qui préfère adopter une approche historique, mêlant romance et complot politique.






L'entreprise était particulièrement audacieuse. La phrase d'accroche de l'affiche française est tout de même "Est-ce un crime de vouloir rester jeune ?", ce qui, étant donné le sujet traité, revient à sous-titrer un biopic d'Hitler "Est-ce un crime de croire en un idéal d'humanité ?".

Cela dit, n'importe quel projet sérieux choisissant de mettre le manichéisme au placard est un bon projet. Prendre le parti, d'une certaine façon, de déculpabiliser l'une des bouchères les plus réputées de l'histoire (ou du moins d'attirer la sympathie du spectateur à son endroit) était un défi herculéen. Mais, comme dirait l'autre, impossible n'est pas français.

Comment ? Qu'ouïs-je ? Julie Delpy est moitié française, moitié américaine ?

Ah. Cela explique beaucoup de choses. Il faut croire que la partie yankee a été la plus forte pendant le tournage, à bien des égards.
Par où commencer ? Pour parvenir à ses fins de la plus habile des façons, Julie Delpy mélange romance (entre la comtesse et un jeune noble) et conspiration politique (dirigé contre elle, évidemment). Le but était, d'une part d'humaniser le personnage en lui faisant vivre une intense histoire d'amour, et du même coup, de trouver un motif aux meurtres absurdes qui suivront, et d'autre part, pour achever de faire planer le doute sur le personnage (et ainsi de placer le spectateur dans une position de trouble), la ficelle du complot politique, qui change la comtesse en victime désabusée de calomnies.

C'est complètement raté. La romance, pour commencer, est d'une naïveté et d'un romantisme abominables. On est difficilement convaincu par cette histoire gnan-gnan entre une noble dame, belle, crainte et puissante, et un jouvenceau à peine sorti du berceau. Les deux amoureux s'échangent mollement des platitudes fleur bleu que l'on croirait tout droit sorties d'un mauvais teen-movie (Pas Twilight non plus, mais pas loin). Passée cette pseudo-romance indigeste, on rentre dans le complot politique, lui non plus pas intéressant pour deux sous. William Hurt n'est guère convaincant en conspirateur patenté et bien caricatural. Lui, c'est souligné plusieurs fois lourdement, il ne croit pas aux histoires d'amour, surtout les amours impossibles. C'est donc un méchant.

Là où le scénario se tire une balle dans le pied, c'est qu'il est explicitement montré que la comtesse tue des centaines de jeunes femmes pour conjurer ses terreurs immatures. A partir de là, l'ambiguïté ne prend plus : le personnage qu'on suit n'est qu'une meurtrière infantile qui peut bien envoyer autant de lettres parfumées qu'elle veut à son petit amoureux, ça ne change rien.

Le scénario, très mécanique dans son déroulement, est en plus déservi par des interprétations inégales : seules Julie Delpy et Sebastian Blomberg (le comte Dominik Vizakna) tirent leur épingle du jeu. Les autres, même William Hurt, se débattent tant qu'ils peuvent dans une mise en scène esthétisante (malheureusement, la photo ne suit pas), et un peu fourre-tout : Julie Delpy emprunte quelques plans au thriller, et même à l'horreur (on a d'ailleurs droit à plusieurs scènes nous présentant du gore gratuit, inutile et vulgaire).

La Comtesse est donc un film étrange : il ne monte pas bien haut, mais sa chute est vertigineuse. D'un pan flou et macabre de l'histoire, Julie Delpy ne tire qu'un long-métrage maladroit dans sa mise en scène et son écriture, qui a trempé son doigt dans la casserole bouillante de l'ambiguïté, mais n'en a tiré qu'une vilaine brûlure. Assurément un film ambitieux, mais qui échoue dans toutes ses ambitions. Toutes ? N... ah si.


Sentence : 1,5/5

mardi 20 avril 2010

eXistenZ

"Cogito ergo... euh..."
-Descartes, après avoir joué à eXistenZ

Ecrit & réalisé par : David Cronenberg (1999)
Avec : Jude Law, Jennifer Jason Leigh
Durée : 96 minutes

David Cronenberg fait partie de ces réalisateurs qui exploitent une poignée de thèmes différents dans tous leurs films - la sexualité, la psychanalyse, la médecine et le corps humain au service de la science dans son cas. eXistenZ est un peu une somme de tous ces thèmes.
Dans un futur proche, une nouvelle plate-forme de jeux a révolutionné l'univers vidéoludique : les joueurs se "branchent" d'eux-même à une drôle de bestiole (Un "pod") à l'aide d'une sorte de cordon ombilical géant (un "ombicâble"), à travers un trou qu'ils se sont fait installer dans le dos par le biais d'une opération simple. Ils évoluent alors dans l'univers du jeu. Seulement voilà, des fanatiques veulent tuer Allegra (la créatrice de jeux), et la poursuite continue dans l'univers virtuel.






C'est dans cet univers trouble que Cronenberg pose les bases d'un nouveau genre de thriller fantastique, puisque le but est, à terme, d'égarer le spectateur, afin qu'il ne puisse plus vraiment faire la différence entre réel et virtuel.
Dans ses longs-métrage horrifiques, il avait déployé un cinéma très organique et quelque peu répugnant (ne serait-ce que dans Shivers). eXistenZ ne fait pas exception : les quelques accessoires futuristes que l'on aperçoit à l'écran sont tous très "vivants", même la console de jeu (surtout la console de jeu, à vrai dire). De même, dans Crash, il avait exprimé sa conviction que mort et désir sexuel sont intimement liés. Dans une moindre mesure, c'est un thème que l'on retrouve ici. Jouer à eXistenZ est très similaire à un rapport sexuel : Allegra explique que c'est beaucoup mieux "avec quelqu'un d'amical que tout seul", les joueurs se connectent par pénétration d'une matière organique dans leur dos et naviguer dans le jeu procure un plaisir évident, pas seulement parce que c'est amusant.
Ajoutez à cela la liberté de céder à ses pulsions dans l'univers du jeu (souvent des pulsions de meurtre) et vous aurez un message pas si éloigné de celui de Crash.

Mais le film pose surtout la question de l'influence des jeux vidéo sur la réalité. Bien vite, les personnages deviennent accro à eXistenZ, bien qu'ils soient poursuivis par des fanatiques assoiffés de sang, et finissent par ne plus faire la différence entre le virtuel et le réel. La réalité leur apparaît fade et sans intérêt ; ils préfèrent se réfugier dans le jeu, où ils peuvent laisser libre cours à leurs instincts les plus primaires.

L'idée de base est absolument géniale : le jeu vidéo est un milieu peu exploité au cinéma, et Cronenberg a su donner à son univers une identité atypique, dérangeante et passionnante. Le scénario est extrêmement bien écrit, on évolue de rebondissements en rebondissements, sans jamais savoir où le jeu emmène les personnages, ni le spectateur. Le film opère un crescendo malsain dans le comportement des deux héros ; d'abord rechignant à avoir recours au meurtre, ils le font de plus en plus facilement, et finalement, par pur plaisir. Pas une fois, dans ce dédale de trahisons, de grotesque et d'absurde, on ne sait comment le film va se terminer, jusqu'à la révélation finale, qui ne peut s'empêcher de laisser planer un voile de doute sur la réalité.

Un concept d'ailleurs très relatif, puisque c'est aussi le propre du cinéma que de plonger le spectateur dans un univers fictif, comme le jeu vidéo. La film lance des pistes de réflexion complexes : jusqu'où s'arrête la fiction ? Quelle est son influence sur nos comportements ? En est-on bien le maître ? Cronenberg aborde des sujets brûlants qu'il serait réducteur de n'appliquer qu'au monde des jeux vidéo. De son introduction à sa conclusion, eXistenZ fascine, interroge, égare et se laisse regarder grâce à un scénario diabolique d'intelligence. Assurément l'une des plus belles réussites de Cronenberg.


Sentence : 4,5/5

lundi 19 avril 2010

Les moissons du ciel

Titre original : Days of Heaven
Ecrit & réalisé par : Terrence Malick (1979)
Avec : Richard Gere, Brooke Adams, Sam Shepard
Durée : 95 minutes

Deuxième long-métrage, et consécration de Terrence Malick après La Ballade sauvage (Badlands), Les moissons du ciel raconte comment Bill, un jeune ouvrier, sa soeur Manz et sa petite amie Abby décident de quitter Chicago pour aller faire les moissons dans une ferme. Prêt à tout pour sortir de la misère, Bill demande à Abby de céder aux avances du riche fermier, atteint d'une maladie incurable.




Sur fond de triangle amoureux tout ce qu'il y a de plus classique, l'histoire est racontée par la petite Manz (dans une voix off assez désagréable), âgée d'une douzaine d'année qui observe les évènements et complots perpétrés par son frère et sa petite amie de façon neutre, en les agrémentant de réflexions personnelles sur la vie et les hommes. Avec un squelette pareil, beaucoup de réalisateurs n'auraient tiré qu'un film déjà vu, pompeusement philosophique, agaçant et ennuyeux.

Mais pas Terrence Malick. Car Terrence Malick est un magicien.

Comme à son habitude, il filme les personnages au plus près de la nature, dans une relation quasi-fusionnelle où la terre devient un personnage à part entière, tour-à-tour clémente ou destructrice, à l'image des relations entre les personnages. Le film est baignée dans un climat de mélancolie résignée, et dégage une profonde modestie ; jamais Terrence Malick, avec les questions qu'il pose à travers Manz, n'apparaît prétentieux ou intellectualisant.
Ces Moissons du ciel sont donc avant tout une ode poétique à la nature, servie par une photo absolument superbe : chaque plan est un tableau, parfois enchanteur, parfois intrigant, toujours impartial et sobre. Terrence Malick n'est pas là, à nous mettre le couteau sous la gorge et à nous dire "Regardez comme il est beau mon film". Les images sont magnifiques dans leur simplicité, dans leur beauté sans artifice.
Malgré cela le film peine à atteindre une vraie intensité dramatique : la faute à un format un peu court (1h35 seulement) et à des acteurs inégaux. Brooke Adams est exemplaire, et transmet avec beaucoup de subtilité les sentiments de son personnage ; Richard Gere et Sam Shepard sont moins convaincants, et font bien souvent ressentir que finalement, ils ne sont que des personnages de papier. C'est beau, mais un peu creux.

Terrence Malick nous plonge dans un abîme de mélancolie, sublimé par la bande originale d'Ennio Morricone, et nous raconte une histoire humaine classique, mais traitée avec beaucoup d'intelligence, de délicatesse et de poésie, magnifiée davantage par une représentation de la nature bouleversante de beauté et de sincérité. On en ressort apaisé.


Sentence : 3,5/5

dimanche 18 avril 2010

Mad Max

La loi du biker.

Réalisé par : George Miller (1979)
Avec : Mel Gibson, Joanne Samuel, Hugh Keays-Byrne
Durée : 85 minutes

Avec seulement $350 000 de budget, Mad Max crée la polémique à sa sortie et est interdit en salles aux moins de 18 ans, et même censuré dans certains pays (en raison de sa violence, plus morale que graphique, qu'on avait manifestement jugée choquante). Mais Mad Max, c'est surtout un film culte, précurseur d'un genre qui, depuis, est très à la mode : le western post-apocalyptique.






Le qualificatif "post-apocalyptique" est ici purement générique : l'univers que filme George Miller n'a en effet rien d'un monde désolé suite à une quelconque guerre nucléaire/épidémie mondiale/attaque extraterrestre/invasion de moutons-garou. Ici, l'action se situe quelques années dans le futur ("A few years from now", voit-on au début du film) et la société est tout à fait reconnaissable. Pas de gadget à outrance ou de design futuriste donc ; de toute façon le budget serré ne permettait pas pareilles fantaisies, et c'est tant mieux.
La seule différence avec la société moderne est que les lois ne sont plus que vaguement appliquées, voire pas du tout, et que les agents chargés de les faire respecter sont aussi pourris que les criminels qu'ils poursuivent. Les routes sont le théâtre de leurs affrontements et course-poursuites, pour des motifs souvent très flous. Les similitudes entre les deux camps sont largement soulignées : ils portent les même vêtements, se moquent des citoyens, et ne se préoccupent que du moteur de leurs voitures ou motos. Dans Mad Max, vous l'aurez compris, c'est la loi de l'ouest qui règne : pas de place pour le manichéisme.

L'atmosphère générale du film est d'ailleurs très masculine, voire macho : des grosses voitures, des gros flingues, des hommes qui conduisent, mangent, dorment, jardinent en portant du cuir noir, bref tout le film est gonflé à la testostérone, au risque de distiller une ambiance pesante.
Car l'écriture s'en fait douloureusement sentir : les personnages sont des clichés ambulants (Mel Gibson est le gentil flic qui devient sans foi ni loi par vengeance, les méchants sont bêtes, moches, cruels, et sont comparables à des animaux en meute) et le scénario très classique dans son déroulement (une histoire de vengeance comme on en a vue des centaines, déservie par une mise en scène fort peu subtile). Fatalement, les évènements deviennent vite prévisibles, et l'ennui pointe à la moitié de la bobine.

Pourquoi ce film est-il donc devenu culte ? La question est légitime, d'autant que Mad Max souffre terriblement de la comparaison avec ses successeurs, et passe aujourd'hui pour un western post-moderne kitch, lourdaud et démodé (ce qui n'est pas le cas d'autres films dits "cultes" d'un autre genre, comme le Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper qui, encore aujourd'hui, reste une référence en matière d'horreur). Il faut chercher la réponse dans ce qui a entraîné sa censure à sa sortie : le film ne se complaît pas dans une violence graphique outrancière ; c'est donc d'un point de vue moral que Mad Max affiche un jusqu'au boutisme presque salvateur. Quand Mel Gibson se venge, il ne fait pas ça proprement, et c'est tant mieux. C'est là que le surplus de testostérone est le bienvenu. On retiendra également quelques scènes de course-poursuite mémorables, très rythmées et bien ficelées.

Pour le reste, l'absence totale de finesse dans le scénario, la mise en scène et le jeu des acteurs (les méchants surtout, qui "font les méchants" de façon un peu trop ostentatoire) nuit considérablement à la qualité du film, qui n'est sauvé que par quelques scènes et une morale ambiguë et, pour le coup, plutôt avant-gardiste.

Sentence : 2/5

vendredi 16 avril 2010

Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec

Rencontre avec Tardi.

Ecrit & réalisé par : Luc Besson
Avec : Louise Bourgouin, Gilles Lellouche, Jean-Paul Rouve, Mathieu Amalric
Durée : 107 minutes


Difficile d'avoir des a priori sur Luc Besson. Les scénarios qu'il écrit et les films qu'il produit pour d'autres (les fameuses "Bessonades") sont tous... disons d'une qualité inégale (la bienséance m'interdit d'exprimer le fond de ma pensée). En revanche, les projets qu'il tient à réaliser lui-même sont souvent assez réussis, et prennent la forme de purs films de divertissement, au sens noble du terme. C'était donc, a priori, le réalisateur le mieux placé pour faire de la célèbre bande dessinée de Jacques Tardi un film aventureux, rythmé, explosif.




Inutile de détailler ici le synopsis ; le titre est suffisamment éloquent : Adèle Blanc-Sec, jeune archéologue de génie au caractère de cochon, s'apprête à vivre d'extraordinaires aventures dans ce qui s'annonce déjà être une trilogie.
Malheureusement, le film est loin de tenir toutes ses promesses. Déjà, les "Aventures extraordinaires" se résument à quelques éléments empruntés au fantastique, et à un court séjour en Egypte. Le reste du temps, l'intrigue se déroule à Paris et s'embourbe dans de vaines considérations que l'humour pataud peine à faire décoller.
Le début était pourtant très prometteur : la scène d'introduction est particulièrement réussie, et projette instantanément le spectateur dans l'univers détonnant de la bande dessinée.
Cependant, le scénario est comblé de faiblesses : les tentatives d'humour, nombreuses, font rarement mouche, l'action et les rebondissements sont prévisibles, le rythme est lent, le style, maladroit. Car la mise en scène ne sauve en rien du naufrage ce scénario indigeste : la réalisation est très formatée, parfois vulgaire, toujours convenue et impersonnelle. Ajoutez à cela une bande originale, franchement envahissante, qui vient ponctuer chaque petite blague d'une note de musique, et vous aurez l'impression d'être devant une vaste sitcom décalée à gros budget.
Un très bon point toutefois, qui mérite d'être souligné : les maquillages et apparences des différents personnages sont remarquables, et créent une atmosphère unique, très bande dessinée (ça tombe plutôt bien), et l'ensemble est sublimé par une direction photo d'excellente qualité. Chaque personnage est un tableau à lui tout seul, grotesque ou raffiné (mais plus souvent grotesque tout de même). On tombe immédiatement sous le charme de cet univers abracadabrant, qui renferme pourtant un potentiel énorme, que Luc Besson n'a pas su exploiter, du moins pour ce premier volet.
Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec n'est donc pas le film d'aventure décomplexé qu'on nous promettait, mais plutôt un divertissement populaire assez peu subtil et franchement malhabile, la faute à un scénario et une mise en scène peu inspirés.

Sentence : 1,5/5

jeudi 15 avril 2010

Les chansons d'amour

Paris la romantique.

Ecrit & réalisé par : Christophe Honoré (2007)
Avec : Louis Garrel, Ludivine Sagnier, Chiara Mastroianni, Clotilde Hesme
Durée : 91 minutes

Fort du succès de Dans Paris, récompensé à la Quinzaine des Réalisateurs en 2006, Christophe Honoré se lance sur le terrain glissant de la comédie musicale pour mettre en scène les aléas amoureux d'Ismaël (Louis Garrel), jeune dandy fantasque aux sentiments incertains.




Raconter une telle histoire en chansons était une gageure, d'autant que Les chansons d'amour n'a rien d'une comédie romantique. Le défi était donc d'arriver à concilier un ton léger, tout en abordant des sujets plus graves (tels que l'homosexualité ou le deuil prématuré). Alors, pari réussi ?
En partie seulement. Le film opère une sorte de crescendo sentimental : le début se veut optimiste et insouciant, les musiques sont plutôt gaies, et puis, au fur et à mesure, le ton s'alourdit, les problèmes familiaux et amoureux font lentement surface et les personnages gagnent en profondeur (surtout Louis Garrel et Chiara Mastroianni, tout deux excellents dans leur interprétation ; les autres personnages restent relativement superficiels).
Ici, les chansons sont prétextes à exprimer ce que chacun ressent, que ce soit sous la forme d'un dialogue chanté entre les acteurs, ou d'un monologue. Ne vous attendez pas à des chansons entraînantes, encore moins à des chorégraphies endiablées (c'eut été particulièrement malvenu), ici, chaque interprétation est très sobre, et la pauvreté musicale des morceaux est compensée par la qualité de l'écriture, élégante et poétique.

Cependant, ces chansons, aussi charmantes soient-elles, sont un peu envahissantes. Passons sur l'effet juke-box de certaines d'entre elles qui font irruption dans l'action comme une mouche prendrait d'assaut votre potage, le plus agaçant est qu'elles font office de paratonnerre. A plusieurs reprises dans le film, au moment où un sujet délicat est abordé ou quand la tension monte, les personnages poussent la chansonnette comme ils érigent un bouclier, se cachant derrière un artifice certes agréable, mais très superficiel. Comme un enfant qui jouerait avec le feu, Christophe Honoré hésite, approche sa main, et la retire brusquement, comme par peur d'être brûlé. Voilà qui est frustrant.
Le problème est similaire avec les personnages, qui n'acquièrent de vraies rondeurs psychologiques que vers la fin : Ismaël, pendant les deux premiers tiers, n'est, concrètement, qu'un gentil cabotin un peu frivole, mais guère intéressant.

Bien que léger (au sens positif et négatif du terme), le film n'est pas dépourvu d'atouts évidents : la mise en scène, intelligente et maîtrisée, taquine le spectateur en faisant appel à sa mémoire et à son sens de l'observation. Le scénario surprend et ravit tour-à-tour par sa subtilité et sa cohérence, sans jamais, malheureusement aller au fond des choses.
Le principal reproche que l'on pourrait faire à ces Chansons d'amour finalement, c'est d'être peureuses ; Honoré a toutes les cartes en main, mais préfère se coucher, laissant le spectateur en plan, jusqu'au dernier tiers du film, où il joue enfin le jeu. Le gâteau était donc plaisant, mais un peu fade.


Sentence : 3/5

mardi 13 avril 2010

Ensemble, nous allons vivre une très, très grande histoire d'amour...

C'est beau, l'optimisme.

Réalisé par : Pascal Thomas
Avec : Julien Doré, Marina Hands
Durée : 99 minutes


Arrêtez quelqu'un dans la rue et demandez-lui ce qu'il a pensé du dernier film de Pascal Thomas, et il vous répondra, avec un sourire gentiment contrarié, "Qui ?". Maintenant demandez-lui s'il a vu le film avec Julien Doré, et là, les yeux pétillants de fierté "Ah oui ! Bien sûr !"
Car pour quiconque n'est pas cinéphile, c'est l'ex-Nouvelle Star (curieux concept) qui est l'argument marketing de cette nouvelle comédie, volant la vedette au réalisateur et même à Marina Hands.
Le titre est long, mais résume très bien le synopsis du film : quand Nicolas et Dorothée se rencontrent, coup de foudre réciproque, ils sont convaincus que leur histoire sera grande, belle, idyllique, passionnée, cosmique, que sais-je encore.





Tout commence avec un festival de danse folklorique, kitsh, ringard, régressif ; en un mot, affreux. Présentation de nos deux héros, qui se fondent à merveille dans ce décor improbable. Leurs regards se croisent : c'est le coup de foudre.
Cette courte scène d'introduction est une fenêtre sur les choix esthétiques et d'écriture qui ont guidé le réalisateur. Le spectateur est plongé dans un univers inhabituel, très coloré (la photo est d'ailleurs superbe), obéissant à des codes d'un autre temps, assumant jusqu'au bout son côté naïf, dépassé même, qui rappelle terriblement la comédie italienne.
Mais le problème, avec les comédies qui essayent de sortir des sentiers battus, c'est qu'elles s'essoufflent, très rapidement qui plus est. Le premier quart d'heure est charmant, on prend plaisir à découvrir un univers original et maîtrisé. Et puis on se lasse, on pense avoir fait le tour, les idées s'amenuisent, on rit de moins en moins, puis on se contente de sourire, et finalement, on souffle.

Et bien là pas du tout.

Le film réussit le tour de force remarquable de toujours se renouveler, dans un univers qui ne s'y prêtait pourtant pas. En effet, le film est déconnecté de la réalité et de toute préoccupation sociale. L'univers, les personnages, les situations qui nous sont présentés, sont toutes délicieusement excessives, absurdes, absolues. Pascal Thomas parvient à structurer tout son film sur des évènements superficiels, qui n'ont parfois jamais eu lieu (Nicolas et Dorothée se séparent parce qu'on avait dit au premier que la seconde l'avait trompé... ce qui était faux), et maintient ainsi une cohérence interne dans un film pourtant tout à fait absurde !

Quelques bémols malgré tout. Maintenir le rythme sur un tel projet était un vrai marathon, et Pascal Thomas s'en sort plutôt bien, mais sur la fin, tout de même, il fatigue, heureusement que la ligne d'arrivée n'est plus très loin. Le choix de Marina Hands dans le rôle de Dorothée n'était peut-être pas le plus judicieux : elle joue très bien, comme à son habitude, mais dès qu'elle cesse de sourire, on a l'impression d'être devant un drame pesant, aux enjeux tragiques, à cause de son visage naturellement grave et sévère. Julien Doré, de son côté, il faut bien le reconnaître, interprète à merveille le dandy romantique et candide.

En dépit de ces quelques défauts, Ensemble... dispose d'atouts formidables : c'est bourré d'idées, c'est fin, c'est bien joué, et surtout, très rafraîchissant dans le paysage malheureusement formaté de la comédie populaire. Un sirop au citron sur la terrasse d'un café.

Sentence : 3,5/5

jeudi 8 avril 2010

Alice au Pays des Merveilles

Elle est de retour... Pour le meilleur ou pour le pire ?

Titre original : Alice in Wonderland
Réalisé par : Tim Burton
Avec : Mia Wasikowska, Johnny Depp, Helena Bonham Carter
D'après : Alice's Adventures in Wonderland et Through the Looking-Glass de Lewis Carrol

Tim Burton, c'est un peu le Père Noël du cinéma fantastique : chaque fois qu'il revient avec un nouveau film, on tourne autour, on observe, on se frotte les mains, et puis avec un plaisir infantile, on achète sa place de cinéma et on s'installe confortablement, un sourire idiot sur le visage.
Ses détracteurs le disent peu inspiré (ce que l'on peut comprendre, la plupart de ses réalisations étant des remakes ou adaptations), ses fans bavent devant son style si particulier, tour-à-tour flashy New Age et macabre gothico-romantique. Pas de surprise donc quand on annonça qu'il allait être aux commandes du remake d'Alice au Pays des Merveilles, avec la "Bande à Burton" au casting (Johnny Depp & Co). Les uns soufflaient, l'air blasé "Ouais bon. Pourquoi ça m'étonne pas ?" et les autres criaient"Wouaou énooooooorme trop Burtonien Alice au Pays des Merveilles" et zou, s'empressaient de cliquer "J'aime" sur Facebook en entendant la nouvelle fracassante.

Alors, qu'a-t-il fait des chefs-d'oeuvre de Lewis Carrol ? Leur a-t-il fait honneur, ou la moulinette Disney a-t-elle été la plus forte ?






Déjà, première différence avec le livre qui augure d'un inévitable appauvrissement de l'oeuvre originale, dans cette version, Alice a 19 ans, et retourne au pays des merveilles, mais en ayant tout oublié. Au placard donc le sous-texte sur la psychologie enfantine, Alice maintenant, c'est une ado, ça rigole plus. Grosse modification aussi dans l'intrigue : il s'agit de libérer les charmantes (et moins charmantes) créatures du pays des merveilles de l'affreuse reine rouge (Helena Bonham Carter). On retrouve les thèmes chers à Burton et à Disney, notamment celui de l'héroïne qui ne se reconnaît pas dans la société où elle vit et qui souhaite échapper à des codes sociaux qui la brident.
Déjà, quand on lit ça, ça commence à sentir le pâté. Et d'ailleurs, le pâté, on a le nez dedans pendant 1h50. Inutile de maintenir le suspense, la moulinette Disney a tout balayé sur son passage, et le film a littéralement balafré l'oeuvre originale. Pourquoi ? D'abord, le pays des merveilles, c'est certes un pays enchanteur, aux vertes prairies, ruisselants ruisseaux, oiseaux guillerets, piou-piou etc. MAIS c'est aussi, et surtout, le pays de la folie, troublante, inquiétante même, où la frontière entre le bien et le mal est naturellement très floue.
Ici, point de subtilité (Subti-quoi ?), Alice a grandi, elle a vu des grands films de grands réalisateurs (Michael Bay, Roland Emmerich et tout) et elle s'est dit qu'un univers bien manichéen, c'est quand même vachement plus hollywoo... vachement plus classe, pardon.
Deux camps très distincts donc : celui de la Reine Blanche (Anne Hattaway, délicieuse dans son interprétation très second degré) et celui de la Reine Rouge. Dans le camp de la première, tous les personnages mythiques du conte : le chapelier fou, le lièvre, le Loir, le lapin blanc, les deux Tweedle, la chenille, etc. MÊME le Cheshire Cat, qui est censé incarner l'ambivalence effrayante et dangereuse du pays des merveilles, insaisissable au propre comme au figuré donc, même lui est ici représenté en gentleman vaguement blasé mais résolument bienveillant. La reine rouge, elle, écope juste d'un second couteau inventé pour l'occasion, de quelques bestioles sans cervelles et d'un...dragon.
Et ouais, un dragon. Parce que figurez-vous que cette version là nous présente, dans ses vingt dernières minutes, une Alice désexualisée (un comble, alors qu'elle a atteint l'âge de l'éveil sexuel ! Ah mais non ça apporterait de la profondeur au film...), dans une armure étincelante pour une bataille finale complètement improbable entre les deux armées, Alice et le dragon (répondant au doux nom de "Jabberwocky"). Même la BO de Danny Elfman, d'habitude exemplaire, rappelle ici étrangement celle de Charlie et la Chocolaterie.

Que peut-on sauver du naufrage ? Une direction artistique remarquable, les personnages et les décors sont très détaillés. C'est indiscutablement le gros point fort du film, et on sent que c'est là-dessus que les producteurs ont tout misé. Beaucoup de plans larges, pour une image très travaillée : on a parfois l'impression de regarder une galerie de tableaux plus enchanteurs les uns que les autres. Au milieu de ce casting titanesque, la jeune Mia Wasikowska tire son épingle du jeu et interprète de façon très convaincante une Alice rêveuse et atypique.

Finalement, là où le dessin animé avait su garder cette ambivalence et cette beauté inquiétante et poétique, Tim Burton n'en sort qu'un ersatz terriblement convenu de Monde de Narnia, le bon goût visuel en plus, avec des personnages aussi plats qu'une feuille de papier.


Sentence : 1,5/5

mardi 6 avril 2010

Dragons

Dreamworks chez les Vikings.

Titre original : How to Train Your Dragon
Réalisé par : Chris Sanders, Dean Deblois

Harold est un Viking. Ou pas. Et c'est bien là le problème : il est tout chétif, tout faible, et pourtant il aimerait bien gagner sa place en tant que Viking au sein de sa tribu. Et pour prouver sa valeur, rien de mieux que de tuer, massacrer, égorger et/ou dépioter un dragon. Jusqu'au jour où il se lie d'amitié avec l'un d'eux, et découvre qu'en fait, avoir un dragon domestique, c'est quand même vachement plus cool qu'une tête en trophée au-dessus de la cheminée.

Officiellement, Dreamworks et Pixar se livrent une bataille sans merci sur le terrain très fashion de l'animation numérique. Officieusement, le premier n'arrive pas à la cheville du second, que ce soit en matière d'humour, d'histoire ou de sentiments. Parce que bon, disons ce qui est, depuis Shrek (certains diraient depuis Madagascar... Ne les écoutez pas, c'est faux.), le studio de Spielberg n'a, concrètement, rien fait de bon, encore moins un long-métrage capable de concurrencer Pixar. Cette année, cap sur les Vikings et les dragons, un mélange alléchant, mais qu'en est-il vraiment ?




L'idée de base est assez bonne : les dragons ont toujours été des créatures populaires, relativement absentes des écrans de cinéma ces derniers temps, et surtout, bien pratiques pour donner un souffle épique à n'importe quel film. Associé à cela, l'univers des Vikings, plutôt boudé par le septième art (allez savoir pourquoi... Rien ne vaut une grosse hache et une grosse b...arbe), mais qui a l'air d'être remis au goût du jour (Valhalla Rising, et bientôt, l'adaptation Marvel de Thor).
La structure du film est, somme toute, très classique : sous couvert d'un univers original (et c'est tout à leur honneur), on retrouve les thèmes récurrents du dessin animé Disney (Rappelons que les deux réalisateurs sont d'anciens collaborateurs de la firme aux grandes oreilles), à savoir le parcours initiatique du jeune héros, incompris par les siens, mais qui finit par être triomphalement accepté. Un modèle que Dreamworks a plutôt laissé de côté jusqu'à présent, mais qui est quasi-incontournable chez Disney et Pixar.

En l'occurrence, on pourrait résumer le squelette du film à ceci : Incompréhension-désir d'intégration-secret-découverte du secret-incompréhension-triomphe. Une approche schématique, j'en conviens, mais qui, à quelques détails près, pourrait être appliquée à n'importe quel Disney.
Plutôt classique sur le fond donc, mais sur la forme, bordel-de-dieu ça envoie paître n'importe quel autre Dreamworks : l'animation est exemplaire et n'a rien à envier à Pixar, les paysages de Fjords et le village Viking sont très réussis, et le design des dragons et personnages remarquable. Le film se paye même le luxe de répandre un souffle épique sur l'ensemble (bon très relatif malgré tout hein, on est loin des frissons dans le dos sur les scènes de bataille et de vols à dos de dragons).

Alors, où ça coince ? Est-ce que ça coince déjà ? Oui, malheureusement. Un écueil assez symptomatique des films d'animations Dreamworks (et des comédies populaires en général, mais ne nous égarons pas...), c'est que le film gère bien mal ses deux parties.
Première moitié : la moitié "Comédie"===>Présentation de l'univers, des personnages et des enjeux. C'est la meilleure partie du film, on se paye de bonnes tranches de rigolade, c'est plutôt réussi.
Seconde moitié : la moitié "Sentiments"===>Et là on s'embourbe. Dès que le film s'approche d'un vrai fond, c'est maladroit, ça perd du rythme, c'est convenu, prévisible, baveux, glaireux, et je m'arrête là pour ne pas être mauvaise langue. Et ouais, en matière de fond, Dragons touche le fond (aha, aha).

Le problème en somme avec Dreamworks, c'est que ce sont des techniciens : ils assurent sur la forme, c'est bien ficelé, ça s'enchaîne bien (Mention spéciale pour la scène d'intro du film, franchement ébouriffante); et puis là ils se rappellent qu'il faut un fond. Alors hop hop, on ressort la vieille recette Disney, et on l'adapte. En gros c'est toujours le même gâteau, mais dans un paquet cadeau différent. On peut faire à Dragons les mêmes reproches qu'à n'importe quel Dreamworks : la première partie est vraiment très réussie, et la seconde partie un peu moins raté que d'habitude. Le meilleur Dreamworks depuis Shrek, quand même.


Sentence : 3/5